La Fin de Fausta
leur suffisait pas, ce fut entre la table et cette porte, comme s’ils voulaient en interdire l’approche, qu’ils s’assirent.
D’un geste rude, ils mirent la rapière entre les jambes, crispèrent le poing sur le lourd pommeau de fer. Geste qui, s’adressant à des gens désarmés, prenait une signification d’une éloquence terrible. L’émotion leur avait donné soif. Ils remplirent deux gobelets à ras bord, les vidèrent d’un trait, les remplirent de nouveau pour les vider encore, d’une seule lampée, et, à toute volée, les déposèrent violemment devant eux. Ils étaient en étain, heureusement, ces gobelets, sans quoi ils eussent éclaté en mille morceaux. Ils se contentèrent de se bosseler.
Comme si ces gestes violents, par quoi se traduisaient leur appréhension et leur mauvaise humeur, ne leur suffisaient pas, ils promenèrent des regards sanglants autour d’eux. Des regards de défi qui semblaient dire, qui disaient clairement à ceux qu’ils devaient garder : « Venez-y un peu ! »
Fausta s’était assise près d’Albaran. De là, silencieuse, sans un geste, sans un mouvement, comme pétrifiée, elle les observait, sans en avoir l’air. Tant que Pardaillan avait été là, elle n’avait guère fait attention à eux. Malgré tout, cependant, elle ne leur avait pas vu ces airs de brutes féroces qu’ils avaient maintenant.
– Pardaillan les a prévenus contre moi, se dit-elle. Et ils me signifient, à leur manière, qu’ils se tiennent sur leurs gardes.
Et c’était bien cela.
Durant quelques minutes, elle les tint sous le feu de ce regard pénétrant, qui semblait doué du pouvoir magique de lire jusqu’au fond des consciences les plus fermées. Elle avait certainement son idée à leur sujet, car elle ne cessait de les étudier. On eût dit qu’elle pesait du regard ce qu’ils pouvaient valoir au physique comme au moral.
Eux, ne semblaient pas s’apercevoir de l’examen attentif dont ils étaient l’objet. Maintenant que leur premier mouvement d’humeur était tombé, ils avaient repris leur physionomie et leurs manières ordinaires. Ils s’entretenaient entre eux, sans élever la voix, ainsi qu’il convient à des gens qui ne sont pas sourds et qui, Dieu merci, savent se tenir en haute et noble compagnie.
Enfin Fausta se leva. Elle souriait. Non pas de ce sourire terrible qu’elle avait à de certains moments, non pas de ce sourire d’une angoissante douceur, ou de ce sourire voluptueux, d’irrésistible séduction qui affolait et ensorcelait les cœurs les plus rebelles. Non, elle souriait d’un sourire bon enfant, un peu railleur, un peu naïf aussi.
Elle vint à eux. Et sa démarche s’était faite légère, désinvolte, cavalière. Elle avait certains mouvements de hanches, certains roulements des épaules, qui faisaient que l’impeccable correction, l’incomparable élégance du somptueux costume s’atténuait, s’estompait, prenait des allures presque débraillées. C’était une métamorphose aussi complète qu’instantanée.
A deux mains – de ses deux petites mains blanches et délicates – elle saisit un lourd escabeau de bois rugueux et le déposa rudement de l’autre côté de la table, en face d’eux. Lourdement, elle se laissa tomber à cheval sur l’escabeau. Elle prit un gobelet d’étain, le leur tendit sans façon et souriant, toujours familière au possible, d’une voix métallique :
– J’ai soif aussi, moi !… Versez-moi donc à boire, voulez-vous, compagnons ?
Ils s’émerveillèrent. Outre !…
– Cornedieu !…
Et ils se poussèrent du coude. Ce qui voulait dire :
« Attention !… Ouvrons l’œil !… »
Mais Pardaillan leur avait expressément recommandé d’avoir les plus grands égards pour leurs prisonniers – surtout pour celui-là –, et de ne rien leur refuser… hormis de leur ouvrir la porte avant l’heure fixée. Ils s’exécutèrent donc de bonne grâce : ils remplirent le gobelet qu’elle leur tendait. Ils le remplirent à ras bord, selon leur habitude. Comme de juste, ils ne s’oublièrent pas.
– A votre santé, mes braves, dit Fausta, en approchant son gobelet des leurs.
Ils choquèrent les gobelets et, poliment, répondirent :
– A votre santé, monsieur.
Ils vidèrent leur gobelet d’un trait. Sans sourciller, Fausta vida le sien jusqu’à la dernière goutte. Comme eux, elle fit claquer sa langue d’un air satisfait. Comme eux, elle mit les coudes sur
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