La Fin de Fausta
ami, qu’avez-vous à soupirer ainsi, comme un veau qui a perdu le tétin de sa mère génisse ?
– Monsieur, j’ai beau chercher, écarquiller les yeux, je ne la vois pas, soupira Valvert.
– Qui ? demanda Pardaillan qui le savait à merveille.
– Comment qui ?… Ma bien-aimée Florence, monsieur.
– Diantre Odet, j’oublie toujours que vous êtes amoureux, moi ! C’est vrai, votre belle habite ici.
– Ah ! monsieur, je crois bien qu’elle ne viendra plus maintenant.
– C’est probable… Il était même à prévoir qu’elle ne paraîtrait pas dans cette noble assemblée. A quel titre s’y trouverait-elle ?
Un silence suivit ces paroles. Valvert soupirait de plus belle. Plus que jamais, Pardaillan souriait malicieusement dans sa moustache grise, en l’observant du coin de l’œil. Enfin Valvert reprit, non sans quelque hésitation :
– Il m’est bien venu une idée…
– Quelque belle incongruité comme il n’en surgit que dans la cervelle d’un amoureux !… N’importe, voyons tout de même cette idée.
– C’est qu’il me faudrait vous laisser un instant seul…
– Si ce n’est que cela, je n’y vois pas d’inconvénient.
– Et je crains qu’il ne vous arrive quelque chose de fâcheux…
– Que diable voulez-vous qu’il m’arrive ?
– Le marquis d’Ancre est ici, monsieur. Et il y est comme chez lui.
– Concini ! Pardieu, je sais bien que ce cuistre ne manque pas d’audace ! Tout de même, il n’ira pas jusqu’à essayer de me faire arrêter dans la maison du roi. Même en admettant qu’il aille jusque-là, encore faudrait-il que cette arrestation se justifiât au moins par quelque inconvenance de ma part. Et vous ne pensez pas que je serai si sot que de lui donner prise sur moi.
Cette fois, Pardaillan parlait très sérieusement. Il jeta un nouveau coup d’œil du côté du roi, comme pour s’assurer qu’il était toujours là, et, avec le même sérieux, il reprit :
– Je ne suis pas venu ici pour y faire un esclandre qui serait un excellent prétexte pour se débarrasser de moi. J’y suis venu pour parler au roi. Il est vrai que j’y suis venu en même temps que Fausta. Mais, outre que je n’aime pas prendre les gens par traîtrise, puisqu’elle commençait l’attaque en venant ici, il m’a paru tout naturel de lui faire voir qu’elle allait me trouver à côté du petit roi, prêt à parer pour lui et à rendre, de mon mieux, coup pour coup. C’est ce que je lui ai signifié en me montrant simplement à elle. Et tenez pour assuré qu’elle a très bien compris. En ce moment-ci, elle croit bien l’emporter sur moi. Voyez donc un peu les coups d’œil qu’elle jette de mon côté. Certainement, elle croit bien m’avoir assommé. Tout à l’heure, j’aurai mon tour. C’est moi qui frapperai. Et je vous réponds que le coup sera rude pour elle. Pour en revenir à Concini, quand j’aurai dit au roi ce que j’ai à lui dire, il comprendra, s’il n’est pas le dernier des imbéciles – et, si j’en juge d’après sa mine, il ne l’est pas –, il comprendra, dis-je, qu’il doit me défendre envers et contre tous, parce que, en me défendant, moi, c’est lui-même qu’il défendra. Vous voyez bien que vous pouvez me quitter sans appréhension aucune et vous mettre à la recherche de celle que vous aimez, puisque aussi bien c’est l’envie qui vous démange furieusement.
Pardaillan avait repris son air narquois pour prononcer ces dernières paroles. Et comme Valvert se montrait quelque peu éberlué en voyant qu’il avait été si bien deviné, il se mit à rire doucement. Et le poussant amicalement, de son air de pince-sans-rire :
– Allez, reprit-il, cherchez, fouillez, flairez comme un bon limier sur la piste. Il est probable que vous allez vous égarer dans ce labyrinthe de salles, de couloirs, d’escaliers et de cours. Il est à peu près certain que vous ne trouverez pas celle que vous cherchez. N’importe, contentez votre envie. Allez, allez donc, morbleu !
Et Valvert, qui ne demandait que cela, était parti à la recherche de sa fiancée bien-aimée. Nous verrons plus tard s’il devait réussir ou revenir bredouille comme le lui prédisait Pardaillan. Pour l’instant, continuons à passer en revue nos personnages.
Derrière Pardaillan, séparé de lui par toute la largeur de l’estrade, le noyau des fidèles, les intimes du roi : Luynes, Ornano, Bellegarde, Seuvré et
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