La Fin de Fausta
quant à elle, elle ne croirait à la mort de Pardaillan que lorsqu’elle aurait vu de ses propres yeux son corps bien et dûment trépassé.
Il s’arrêta donc, tout interloqué et, pris de rage, il gronda entre les dents, en italien, avec un intraduisible accent de regret :
–
Porco Dio !
ils n’étaient donc pas morts !
– Je me suis tuée à vous le dire, répondit Fausta à voix basse, également en italien.
Et, avec cet indicible accent d’autorité auquel nul ne pouvait résister, elle commanda :
– Avançons, monsieur et, pour Dieu, souriez… Ne voyez-vous pas qu’on s’étonne de l’émotion que vous montrez ?
C’était vrai. Cet arrêt, non compris dans un programme réglé d’avance, jusque dans ses plus infimes détails, surprenait d’autant plus que, si rapide qu’elle eût été, l’émotion de Concini n’avait pas échappé à ceux qui étaient bien placés pour voir et qui, tous, avaient les yeux braqués sur le groupe. Et, suivant la direction du regard de Concini, tous ces yeux – même ceux du roi et de la reine – se détournèrent un instant pour regarder du côté de Pardaillan et de Valvert.
Les ennemis du marquis d’Ancre – et ils étaient nombreux, et le roi était de ceux-là – regardèrent avec le secret espoir de voir surgir un incident susceptible de mettre en fâcheuse posture le favori détesté. Ses amis, au contraire, regardèrent avec une inquiétude qu’ils s’efforçaient de dissimuler.
Il faut croire que Pardaillan et Valvert étaient inconnus de la plupart de ces personnages, car leur attention – tout au moins l’attention de Louis XIII et de Marie de Médicis – ne se fixa pas sur eux. Mais Léonora, qui les connaissait, elle, les reconnut sur-le-champ. Et elle se sentit pâlir sous ses fards, pendant qu’une angoisse mortelle l’étreignait à la gorge. Et elle se tint prête à tout. Et son œil de feu alla chercher Rospignac au milieu de l’éblouissante cohue, pour lui lancer un ordre muet.
Cependant, Concini s’était déjà ressaisi. Son premier mouvement, à lui aussi, fut de tourner la tête et de chercher Rospignac. Et l’ayant trouvé, d’un coup d’œil aussi rapide que significatif, il lui désigna Pardaillan, paisible et souriant à la place où il avait voulu être et où il s’était mis. Et Rospignac, obéissant à l’ordre, fit signe à ses quatre lieutenants. Et tous les cinq se coulant avec adresse à travers la foule des courtisans se dirigèrent de ce côté.
Ceci s’était accompli avec une rapidité telle que personne n’y fit attention. Sauf Léonora qui commença à respirer plus librement. Concini, souriant, redevenu très maître de lui – en apparence du moins –, s’était déjà remis en marche. Mais, malgré lui, en avançant il assassinait Pardaillan du regard. Celui-ci ne paraissait même pas le voir. Son regard étincelant plongeait dans les yeux d’un funeste éclat de diamants noirs de Fausta qui, elle aussi, le bravait du regard. Et ce fut comme le choc de deux lames qui se heurtent, se froissent, cherchant le jour par où elles pourront se glisser et porter le coup mortel.
Fausta arriva à la hauteur de Pardaillan. Leurs regards, qui s’étreignaient toujours, échangèrent une dernière menace. Et Pardaillan, souriant d’un sourire aigu, s’inclina dans une révérence gouailleuse qui en disait plus long que n’auraient pu le faire les paroles les plus éloquentes. Et Fausta, qui comprit à merveille, rendit défi pour défi dans un de ces sourires mortels comme il en fleurissait quelquefois sur ses lèvres pourpres.
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Chapitre 6 LA PRESENTATION
C ependant, aucun incident fâcheux ne se produisit. Pardaillan, par sa présence en ce lieu et en ce moment, avait simplement voulu montrer qu’il n’était pas mort et, en même temps, signifier à Fausta que, plus que jamais, partout et toujours, elle allait le trouver sur son chemin. Et Fausta l’avait fort bien compris ainsi.
Il est certain qu’il n’entendait pas s’en tenir à cette manifestation platonique. Il faut croire qu’elle lui suffisait pour l’instant car, après avoir montré qu’il était là et qu’il fallait compter avec lui, il s’effaça discrètement. Mais, tout en se mettant à l’écart, il eut soin de se placer de manière à bien voir et à ne pas perdre une seule des paroles qui allaient être prononcées.
Rospignac et ses hommes, qui s’étaient glissés derrière lui, n’eurent donc
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