La Fin de Fausta
soustraire à l’étreinte de son adversaire. Et, comme sa force peu commune était connue, on éprouva un instinctif respect pour cet inconnu qui maîtrisait si facilement Rospignac, le fort des forts, qui, jusqu’à ce jour, n’avait pas encore rencontré son maître. On vit bien ses lèvres remuer. Mais, en effet, on n’entendit pas ce qu’il dit.
Par malheur pour lui, on entendit à merveille ce que Valvert répondit. Car il le cria assez fort pour être entendu, même des oreilles les plus dures.
– Non, je ne te lâcherai pas, Rospignac. Ou plutôt, si, je te lâcherai… après t’avoir administré la correction que je t’ai promise. Rappelle-toi ce que je t’ai dit : partout où je te rencontrerai, tu referas connaissance avec le bout de ma botte. Chose promise, chose due.
Il le saisit des deux mains et commanda :
– Tourne-toi, baron.
Rospignac n’eut pas la peine de se mouvoir. En même temps qu’il parlait, Valvert le soulevait, le retournait, aussi aisément qu’il eût fait d’une plume. Quand il l’eut retourné, il le harponna solidement au collet et à la ceinture, et du même ton impérieux ordonna :
– Marche.
Grinçant, écumant, ruant, se tordant comme un ver, réunissant toutes ses forces décuplées par le désespoir, Rospignac essaya de résister. Peine inutile. Valvert le porta à bras tendus jusqu’à la porte. Ce fut l’affaire de quatre ou cinq pas, pas plus. Là, il le reposa sur ses pieds, le lâcha une seconde d’une seule main et, de cette main libre, ouvrit tout grand le battant de la porte. Après quoi, il le reprit des deux mains et recula de quelques pas. Brusquement, il le reposa de nouveau à terre, le poussa d’une bourrade et commanda :
– Saute, baron !
En même temps, à toute volée, il projetait son pied droit en avant. Le pied, avec une violence inouïe, entra en contact avec le bas des reins du baron. On vit le beau, l’élégant, le terrible baron de Rospignac soulevé par une force irrésistible, filer à travers l’espace comme un fétu emporté par l’ouragan, et s’engouffrer à travers le battant ouvert. On entendit un hurlement de douleur et de rage, suivi du « flouc » sourd d’un corps tombant lourdement sur un tapis. La violence extraordinaire du choc venait de le projeter dans l’antichambre qui se trouvait derrière cette porte. Et il ne reparut pas.
Valvert ne le tint pas encore quitte. Il s’approcha de la porte et cria :
– Ne t’avise jamais de mettre les pieds dans un endroit où je serai, sans quoi tu subiras le même traitement.
Il fit une pause, comme s’il attendait une réponse. Rospignac n’eut garde de répondre ni même d’entendre, pour l’excellente raison qu’il était évanoui : plus de honte et de rage, certes, que de douleur. Ne recevant pas de réponse, Valvert ferma la porte et, comme si de rien n’était, se retourna et jeta un coup d’œil autour de lui, comme s’il voulait juger de l’effet produit par son extraordinaire et, il faut bien le reconnaître, inconvenante algarade.
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Chapitre 10 OU PARDAILLAN INTERVIENT ENCORE
I l était terrible, cet effet.
Le roi se taisant, un silence de mort pesait sur cette brillante assemblée qui, en tout, se modelait sur lui. Le roi demeurant immobile, il semblait que quelque magicien facétieux se fût donné le malin plaisir de métamorphoser en statues aux somptueux et éclatants costumes tous ces nobles seigneurs et toutes ces hautes et grandes dames. Enfin, le roi s’étant fait un visage fermé pour dissimuler l’ennui et, disons-le, la crainte que lui causait la discussion qui allait inévitablement suivre avec Concini, toutes ces statues montraient des visages hermétiques : dans l’incertitude où l’on était de l’attitude que prendrait le roi, amis et ennemis de Concini se gardaient bien de laisser lire leurs sentiments intimes sur leurs visages.
Seul Pardaillan gardait aux lèvres son sourire narquois, un peu dédaigneux, au fond des prunelles, une lueur comme amusée.
Valvert vit tout cela. Ce silence lourd l’angoissa. Cette immobilité générale lui donna le frisson. Tous ces visages de glace lui parurent chargés d’une muette réprobation. Cette espèce d’accès de folie – où peut-être, sans qu’il s’en rendît compte, il y avait de la jalousie – qui s’était abattu sur lui à la vue de Rospignac tomba comme par enchantement. Il comprit alors toute l’énormité de son acte. Ah ! on peut
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