La Fin de Fausta
tremblement nerveux le secouait des pieds à la tête. On voyait qu’il faisait un effort surhumain pour se contraindre au calme. Il y réussissait à peu près. Sa voix était assez ferme, mais son accent italien reparaissait, comme il lui arrivait chaque fois que, sous le coup d’une forte émotion, il oubliait de surveiller son accent :
– Sire,
oun
pareil scandale,
oun
pareil affront, fait à
oun
de vos meilleurs serviteurs, ne sauraient demeurer
impunis.
L’arrestation
dou
coupable s’impose. Je sollicite humblement de Votre Majesté cet ordre d’arrestation.
Concini, par un effort de volonté admirable, avait réussi à formuler sa demande en termes assez respectueux. C’était tout ce qu’il avait pu faire, et le ton était quelque peu comminatoire.
De son air froid, Pardaillan répondit pour le roi :
– Certes, la conduite de M. le comte de Valvert est répréhensible. Ceci ne saurait être contesté. Cependant, l’arrêter pour cela me paraît un peu excessif. Une parole de blâme tombée de la bouche du roi me paraît une punition largement suffisante.
Concini sursauta : il ne s’attendait pas à pareille intervention. Au reste, il comprit à merveille que Pardaillan agissait avec le consentement du roi ; il ne pouvait en être autrement. Il comprit également que s’il se prêtait à la manœuvre, il était battu d’avance ; il savait bien qu’il n’était pas de force à se mesurer avec un adversaire aussi redoutable que Pardaillan. Comme s’il n’avait pas entendu, il continua de s’adresser au roi, et en termes toujours respectueux, mais toujours démentis par le ton qui demeurait impérieux :
– Le roi ne voudra pas refuser la légitime demande que lui fait le plus dévoué de ses serviteurs. Et je sollicite, comme une réparation, la mission de procéder moi-même à cette arrestation.
Pardaillan, on le sait, n’était pas très patient. La désinvolture de Concini lui fit monter le rouge au front. Il fit rapidement deux pas qui le mirent en face du favori. Et, de son air glacial, du bout des lèvres dédaigneuses :
– Monsieur, dit-il, quand j’adresse la parole à quelqu’un, je considère comme une insulte qu’on ne me réponde pas. Et quand on m’insulte, je ne lâche plus mon insulteur. Et figurez-vous que, tout vieux baron que je suis, j’ai la tête encore assez chaude pour commettre la même faute que vient de commettre ce jeune homme, pour oublier que je suis dans une maison royale, devant le roi, et exiger qu’on me rende raison sur-le-champ.
Concini frémit. Il avait appris, à ses dépens, à connaître la force exceptionnelle de l’homme qui lui parlait ainsi. Il se vit déjà entre ses mains puissantes – qu’il n’avait qu’à abattre, car il le touchait presque – recevant à son tour une correction dégradante, dans le genre de celle qu’avait reçue Rospignac devant toute la cour. Il sentit l’impérieuse nécessité de filer doux. Il se mordit les lèvres, s’ensanglanta la paume des mains avec les ongles, mais se contraignit à sourire. Et, de l’air le plus poli, avec un étonnement ingénu :
– Vous m’avez fait l’honneur de m’adresser la parole, monsieur ?
– Oui, monsieur.
– Excusez-moi, je ne vous avais pas entendu. Et vous me disiez ?
– Je vous disais que l’arrestation que vous me demandiez me paraissait une punition excessive, hors de proportion avec la faute commise.
– Ce n’est pas mon avis. Il y a eu insulte faite à la majesté royale.
– Pardon, pardon, fit Pardaillan d’un air goguenard, vous errez profondément. Il y a eu insulte, il est vrai, et même insulte exceptionnellement grave. Mais cette insulte s’adressait, et j’en appelle à tous ceux qui nous écoutent et qui ont été témoins comme moi, elle s’adressait non pas au roi mais bel et bien à celui qui l’a reçue. Celui-là est à votre service ? Je ne vous en fais pas compliment car c’est un triste sire. Vous prenez fait et cause pour lui, vous prenez votre part de l’affront qui lui a été fait ? C’est d’un bon maître. Ce n’est pas une raison pour déplacer la question, comme vous essayez de le faire.
– Et moi, se débattit Concini, je soutiens qu’il y a eu scandale. Scandale dans la maison du roi. Par conséquent, crime de lèse-majesté.
– Vous errez de plus en plus, dit froidement Pardaillan. Il y a eu un gentilhomme qui a infligé une correction publique à un autre gentilhomme. Et
Weitere Kostenlose Bücher