La Fin de Fausta
croire qu’il ne triompha pas, qu’il ne chanta pas victoire, qu’il ne se félicita pas en son for intérieur. Je vous réponds que non. Tout au contraire, il se tança lui-même de la belle manière :
« Que la fièvre me ronge ! Que la peste m’étouffe ! Quelle mouche venimeuse m’a donc piqué ?… Faire un scandale pareil, au Louvre, devant le roi, devant la reine, devant toute la cour !… Cà, je suis donc devenu fou à lier ? Ou bien ai-je été mordu par quelque chien enragé ?… Que n’a-t-il rongé ma carcasse jusqu’aux os, pour m’apprendre à vivre, ce chien de malheur qui m’a mordu ?… Ne pouvais-je rester tranquille ? Non, il a fallu que je fusse pris de la rage de montrer ma force à tous ces courtisans ! Ah ! bravache, cuistre, brute, triple brute que je suis ! A présent, me voilà bien loti ! Je sens ma tête vaciller sur mes épaules. Eh ! c’est qu’elle ne tient plus qu’à un fil. Et je puis bien faire mon
mea culpa.
Puissé-je être écartelé vif, je ne l’aurai pas volé !… Et s’il n’y avait que cela, s’il n’y avait que ma tête menacée !… Mais, c’est que me voilà déshonoré ! Je vais passer pour un homme sans éducation, qui n’a jamais su se tenir décemment devant une noble assemblée. Je vais passer pour un manant, un goujat, un… Moi, un Valvert ! Ventrebleu de ventrebleu, foudre et tonnerre, peste et fièvre ! »
Son repentir était vif et sincère. Malheureusement, il arrivait un peu tard. Ce fut ce qu’il se dit lui-même, du reste :
« Le vin est tiré, il faut le boire. Qu’on prenne ma tête s’il le faut, mais je ne veux pas passer pour un grossier personnage… Il faut que je parle au roi, que je lui explique, que je m’excuse… »
On remarquera qu’il aurait pu se retirer, sans que personne s’y fût opposé. Il n’y pensa même pas. C’était pourtant le meilleur moyen de sauver cette tête, qu’il sentait vaciller sur ses épaules. Il était jeune, il aimait, il était aimé, il avait toutes sortes de raisons de tenir à la vie. Pourtant, il n’y pensa pas un seul instant. Il ne pensa qu’à une chose, qui fut sa seule préoccupation : c’est qu’il allait passer pour un homme grossier, sans éducation. Cette crainte fut si puissante qu’elle lui fit oublier que sa vie était menacée. Ce qui prouve, qu’au fond, il n’était encore qu’un grand enfant.
Sous le coup de cette crainte, plus forte que tout, il se dirigea vers l’endroit où se tenait le roi, ayant Pardaillan à son côté. Et on s’écarta devant lui, comme on eût fait devant un pestiféré ; on ne savait pas ce que le roi allait décider à son sujet.
La mise en marche de Valvert parut rompre le charme, rendre la vie et le mouvement à toutes ces statues.
La première voix qui se fit entendre fut celle de la reine, Marie de Médicis. Elle répondait sans doute à une observation murmurée par quelqu’un de son entourage. Elle disait :
– Assurément, ce n’est pas là un gentilhomme. C’est un manant grossier, de la plus basse condition, fort comme un taureau, et qui abuse de sa force en brute sauvage. Il faudra savoir par suite de quelle inconcevable méprise, ce crocheteur a pu s’introduire jusqu’ici. Quant au reste, puisqu’il a l’impudente audace de s’approcher du roi, il sera châtié comme il le mérite. Et ce châtiment sera tel qu’il donnera à réfléchir à ceux qui seraient tentés d’imiter des manières qui sont peut-être de mise à la cour des Miracles, mais qu’on ne saurait tolérer à la cour de France.
Ces paroles, qui étaient une mise en demeure adressée directement à son fils, ces paroles tombant au milieu du silence furent entendues de tous. Elles cinglèrent Valvert comme un coup de cravache.
Concini s’agitait et parlait avec animation à la reine, qui approuvait doucement de la tête. Léonora le soutenait avec cette énergie virile qui la caractérisait. Comme le roi l’appréhendait en son for intérieur, l’incident, fâcheux en soi, prenait des proportions d’un événement considérable.
Fausta demeurait impénétrable à son ordinaire et se tenait volontairement à l’écart.
Pardaillan disait tout bas au roi qui paraissait très ennuyé :
– M. d’Ancre va venir vous mettre en demeure de sévir. N’oubliez pas, sire, que lui abandonner M. de Valvert, c’est m’abandonner moi-même, me livrer pieds et poings liés à la merci de vos
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