La Fin de Fausta
nous l’avons dit, il était incapable de raisonner en ce moment. Et, ne voyant que les apparences, il proposa dans un grondement furieux :
– Dès que ces soldats auront quitté la place, nous envahissons l’auberge, nous brisons tout, nous y mettons le feu, au besoin, nous la démolissons pierre à pierre, mais il ne faut pas que ces hommes en sortent vivants. Est-ce dit, messieurs ?
– C’est dit, répondirent d’une même voix Roquetaille, Longval, Eynaus et Louvignac.
– Messieurs, reprit Rospignac, d’une voix qui n’avait plus rien d’humain, je vous abandonne ma part de la récompense promise par monseigneur, à la condition que vous m’abandonnerez, vous, ce démon d’enfer qui s’appelle Valvert.
Les spadassins se figèrent.
– Il nous a souffletés du plat de son épée, grincèrent-ils.
– Et moi, fit Rospignac d’une voix effrayante, il m’a, tout à l’heure, frappé du bout de sa botte ! Du bout de sa botte, entendez-vous ? Et cela, devant le roi, devant la reine, devant toute la cour ! Qu’est-ce que votre pauvre petit soufflet à côté de cette insulte-là ?
Les quatre échangèrent un regard férocement amusé. Et s’inclinant, ils cédèrent d’assez bonne grâce :
– S’il en est ainsi, prenez-le.
– Merci, messieurs, fit Rospignac avec un sourire livide. Et, en lui-même :
« Ils ont aussi bien fait… J’étais résolu à tout s’ils avaient tenté de me le voler. »
Les quatre le quittèrent un instant pour aller donner l’ordre à leurs hommes.
Les soldats de Vitry passèrent, la rue se trouva déblayée, reprît son mouvement accoutumé. Rospignac se retourna. Longval, Eynaus, Louvignac et Roquetaille étaient derrière lui. Et derrière eux, le reste de la troupe. Il allait s’ébranler, entraînant tout son monde à sa suite. Il demeura cloué sur place par la stupeur.
Là, dans la rue, à une vingtaine de pas de lui, il venait d’apercevoir ceux qu’il s’apprêtait à aller chercher dans l’auberge. Ils allaient tranquillement, le visage à découvert, bras dessus, bras dessous, s’entretenant avec enjouement, comme deux hommes qui se sentent l’esprit dégagé de toute appréhension, qui vont paisibles et confiants, sans se douter le moins du monde qu’une menace mortelle est suspendue sur eux.
Du moins, il en jugea ainsi. Et, secoué par une joie diabolique, il exulta :
« C’est l’enfer qui me les livre ! Cette fois, je crois que je les tiens !… »
A voix basse, il donna de brèves instructions à ses lieutenants, qui les transmirent aussitôt à leurs hommes. D’un même geste, toutes les épées jaillirent hors des fourreaux. Tous les jarrets se détendirent en même temps, et une ruée impétueuse, irrésistible, amena toute la bande dans la rue Saint-Denis. En même temps, une clameur énorme, effrayante, jaillit de toutes ces lèvres contractées :
– Sus !
– Pille !
– Tue !
– Assomme !
– Taïaut ! taïaut !
– A mort !…
Devant cette soudaine, cette épouvantable irruption, devant ces gueules convulsives, effroyables, qui hurlaient à la mort, la rue s’emplit d’un bruit assourdissant, fait de protestations violentes, d’imprécations, d’injures, de prières et de lamentations, dominé par les cris aigus des femmes terrifiées. Puis ce fut une bousculade affolée, suivie de la fuite rapide et désordonnée de ces inoffensifs passants qui croyaient déjà que leur dernière heure était venue.
En un clin d’œil, dans l’espace compris entre les rues de la Cossonnerie et au Feure, la rue se trouva balayée, vidée de tout gêneur, et la bande déchaînée, maîtresse de la place, put manœuvrer à son aise. Très simple, d’ailleurs, cette manœuvre.
La bande se divisa en deux : une moitié fonça sur les deux promeneurs, l’épée haute, pendant que l’autre moitié se défilait, au pas de course, le long des maisons, pour les tourner et les encercler. La manœuvre s’accomplit, mais elle ne donna pas les résultats que Rospignac en attendait.
Cela vint de ce qu’il s’était grossièrement trompé lorsque, les voyant si tranquilles, il avait cru que Pardaillan et Valvert étaient sans méfiance. Jamais ils ne s’étaient si bien tenus sur leurs gardes, au contraire : bien qu’ils n’en eussent pas soufflé mot ni l’un ni l’autre, ils se doutaient bien qu’ils avaient été suivis. Sous leur apparente indifférence, ils se tenaient l’œil et
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