La Fin de Pardaillan
avec Pardaillan, il était non moins clair qu’il avait dû lui révéler la véritable personnalité de cette duchesse de Sorrientès au service de laquelle il était entré.
– Dites ce que vous avez à dire au sujet de M. de Pardaillan, fit-elle avec le même calme sinistre qui eût épouvanté tout autre que Valvert ou Pardaillan lui-même.
Mais Valvert n’était pas venu à la légère se mettre dans les griffes de la terrible tigresse qui ne se montrait ainsi patiente que parce qu’elle se croyait sûre de le tenir à sa merci. Valvert savait ce qu’il faisait, ce qu’il voulait et comment il l’obtiendrait. Il ne s’épouvanta donc pas. Et d’une voix effrayante à force de froideur, il prononça :
– Je veux vous dire ceci, madame : vous avez attiré M. de Pardaillan dans un piège… Le plus misérable, le plus vil des pièges… Il faut bien qu’il en soit ainsi puisque M. de Pardaillan n’est pas ressorti de votre cabinet de la tour du coin où il avait eu l’imprudence de vous suivre. Qu’avez-vous fait de M. de Pardaillan, madame ?
– M. de Pardaillan est mort, brava Fausta.
– Vous mentez, madame, cingla de nouveau Valvert, et je savais que vous alliez encore mentir ainsi bassement, astucieusement… Je sais qu’il n’est pas encore mort… Je sais qu’il vit, enfermé dans l’oubliette où vous l’avez précipité… Je sais que celui-ci (il désignait d’Albaran d’un geste dédaigneux) qui m’assassine du regard, doit lui descendre un copieux et délicat repas, arrosé de vins généreux… auxquels on aura la précaution de mélanger un narcotique… ce qui lui permettra, sans risque pour sa précieuse carcasse… de lui donner en plein cœur ce coup de poignard mortel que vous jugez plus digne de lui que la mort hideuse de la noyade… Je sais tout cela, madame, qui vous prouve que vous devez vous défier à l’avenir des paroles que vous prononcez dans les escaliers secrets de votre infernal palais… Et sachant tout cela, j’ajoute : je ne partirai d’ici qu’avec M. de Pardaillan.
Fausta l’avait écouté, figée dans sa hautaine indifférence, sans qu’un muscle de son visage eût bougé une seule fois. Si bien qu’à la voir si calme, on eût pu croire que les violentes paroles de Valvert ne s’adressaient pas à elle.
– En vérité, dit-elle de sa voix douce, votre demande me paraît on ne peut plus juste et légitime.
Et se tournant vers d’Albaran :
– D’Albaran, ajouta-t-elle avec la même effroyable douceur, donne satisfaction à M. de Valvert. Et puisqu’il aime M. de Pardaillan comme un père, fais en sorte qu’ils s’en aillent d’ici ensemble.
Il n’y avait pas à se méprendre sur la véritable signification qu’elle donnait à cet ordre : c’était un ordre de mort ! Et à la façon dont elle s’accommoda dans son fauteuil pour voir ce qui allait se passer, indiquait qu’elle était sûre d’avance que l’ordre serait exécuté. Il est de fait que sa confiance en la force herculéenne de son molosse était telle que, certaine qu’il suffirait seul à accomplir la besogne, elle ne pensait même pas à appeler du renfort.
Et le colosse, aussi confiant en lui-même, s’ébranla sur-le-champ de son pas puissant, formidable dans sa tranquille assurance. Et il semblait bien en effet qu’il ne devait faire qu’une bouchée de cet adversaire mince, svelte, qu’il dominait de toute la tête.
Valvert, comme s’il n’avait pas compris, s’était incliné en signe de remerciement. Puis il s’était tourné face à d’Albaran. Sans prononcer un mot, sans faire un mouvement, il le regardait venir. Et son visage n’exprimait pas d’autre sentiment que la curiosité.
D’Albaran n’avait pas dégainé. Lui non plus, il n’avait pas dit un mot. Il avançait en se dandinant. Quand il fut à deux pas de Valvert qui le regardait toujours d’un air curieux, comme amusé, de sa voix de basse profonde, sans colère, gravement, il prononça :
– Tu as insulté la souveraine, tu vas mourir… Je te donne une seconde pour recommander ton âme à Dieu.
En effet, il s’arrêta une seconde fois. Puis il fit les deux pas qui le séparaient du jeune homme, leva son poing monstrueux et l’abattit à toute volée sur la tête de Valvert qu’il dominait de sa taille gigantesque.
Valvert vit se lever sur lui l’énorme masse capable d’assommer un bœuf d’un seul coup. Et il ne cilla pas, il ne fit
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