La force du bien
Pétain existe toujours, hélas. »
René Nodot pousse un soupir de contrariété, puis reprend son évocation :
« En tant que protestant, je travaillais avec le pasteur de Bourg-en-Bresse. J’étais responsable de l’Union chrétienne des jeunes, plus connue en anglais sous le sigle de YMCA… »
Par l’intermédiaire de leurs coreligionnaires de Berlin, de Munich et de Hambourg, les protestants français comme René Nodot furent parmi les premiers à connaître l’ampleur des persécutions nazies en Allemagne même, dès 1933. Et aussi parmi les premiers à agir.
« Je crois, dit-il, que cela vient du souvenir de notre passé de huguenots persécutés… En 1941, à Lyon, une association, l’Amitié chrétienne, a été créée à l’initiative de l’abbé Gasper (qui, à lui seul, a sauvé beaucoup de Juifs), du père Chaillet et du pasteur de Pury. N’eût été le danger, cette association aurait tout aussi bien pu s’appeler “ Amitié judéo-chrétienne ”, car nombre de Juifs en faisaient aussi partie… C’était un mouvement voué au sauvetage des personnes menacées de mort… Ma résistance était d’abord une résistance pour les Juifs. J’ai aidé d’autres personnes par la suite, notamment des résistants. Mais les résistants étaient en danger parce qu’ils avaient pris les armes – tandis que les Juifs étaient tués simplement parce que juifs ! Nous avons appris, grâce au pasteur de Pury et au pasteur Déson, de Bourg-en-Bresse, qu’il y avait eu une rafle terrible à Paris. On ne connaissait pas les détails, et, bien sûr, pas un mot dans la presse de Vichy. Nous avons su, par des messagers protestants, que des milliers de Juifs, dont un grand nombre d’enfants, avaient été arrêtés pour être envoyés dans les camps d’extermination nazis… L’Amitié chrétienne avait des amis un peu partout : jusqu’à la police et à la préfecture. C’est ainsi que nous avons su qu’il se préparait, pour le mois d’août 1942, une rafle dans la zone Sud. Avec le rabbin Schönberg, un ami, nous avons aussitôt décidé d’agir. Grâce à la communauté juive et à des renseignements de la préfecture – obtenus grâce à Jeanne Brousse, qui y travaillait, et qui, elle-même, a sauvé beaucoup de Juifs –, nous avons pu avoir des listes. Je crois qu’il était prévu par les Allemands d’en arrêter quatre mille. Ils ont réussi à en prendre entre mille et mille deux cents, dont cinq cents ne sont jamais revenus de déportation. Comme à Paris, il y avait des vieillards malades, des femmes enceintes, des enfants. Nous avons pu prévenir le maximum de gens, mais certains ne semblaient pas nous croire… L’année suivante, le 9 février 1943, une nouvelle rafle a frappé Lyon. Klaus Barbie en a profité pour transférer quatre-vingt-quatre personnes à Drancy.
— Mais comment s’est passée la première rafle, celle d’août 1942 ? Qui l’a effectuée ?
— Ah ! La police française ! C’est la police française, comme à Paris, qui s’est illustrée, si l’on peut dire, en cette nuit d’août 1942, à Lyon ! C’était entre deux et quatre heures du matin. Les policiers ont cerné les quartiers les plus modestes, où il y avait beaucoup de Juifs étrangers. Des fourgons noirs, très caractéristiques, très hauts sur roues, ont barré les rues. Pendant ce temps-là, des inspecteurs montaient dans les étages des immeubles, frappaient aux portes à la volée, et emmenaient les gens pour les diriger sur un camp militaire… C’était une honte pour nous de voir la police française venir arrêter les Juifs !
— Ils ont été placés dans un camp français ?
— Oui… Le pasteur de Pury, comme tous les pasteurs de l’époque, connaissait l’existence des camps d’internement du régime de Vichy, presque tous situés dans le Sud-Ouest : Gueyze, Rivesaltes, Noé. Je crois que la liste n’en a jamais été dressée. Beaucoup d’étrangers y étaient internés, mais en majorité des Juifs. On y mourait souvent. Le pasteur de Pury pensait que nous étions désormais gouvernés par un régime totalitaire et que, comme en Allemagne, les gens de Vichy allaient prendre des mesures terribles contre les Juifs. Dès ce moment, j’avais été convaincu qu’il fallait se préparer à les aider… D’août 42 à février 43, je pense que nous avons sauvé plus de trois mille personnes. Dans un premier temps, nous leur avons indiqué un
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