La force du bien
qui doit avant tout obéir . Et cet homme, qui ne nous connaissait pas, a pris le risque, par rapport à ses collègues, par rapport à sa hiérarchie, de dire non en secret, et d’agir. C’est un geste qui donne de l’espérance. »
47.
Pierre Saragoussi a raison : les policiers, ces fonctionnaires qui ont exécuté des ordres, et ceux qui ne l’ont pas fait, posent un problème qui est toujours d’actualité : celui de la conscience.
Un homme est-il ou non tenu de désobéir et même de s’opposer aux ordres de ses supérieurs lorsque ceux-ci bafouent les droits de l’homme ?
Un État qui, par un coup de force, abroge les lois et les règles qui l’ont constitué et qui ont fait sa réputation mérite-t-il encore le respect ?
Ce sont des questions qui valent d’être posées aujourd’hui, encore, mais auxquelles un pays comme le Danemark apporta, durant la dernière guerre, une réponse sans équivoque. Sa police a joué un rôle déterminant dans le sauvetage des Juifs, en octobre 1943, quand la population a fait passer toute la communauté juive en Suède : les policiers étaient de ceux qui dirigeaient les gens vers les quais d’embarquement clandestins.
Des policiers de cette trempe, je vais en retrouver à Nancy. Ils étaient sept. Deux d’entre eux sont toujours parmi nous : Pierre Marie et Charles Bouy, les seuls survivants de ce « commissariat des Justes ».
Charles Bouy n’est plus très jeune. Ce policier à la mèche rebelle et au regard malicieux a dépassé les quatre-vingt-dix ans. Calant souvent sa joue sur son poing en parlant, il se livre à une évocation sans équivoque de ses sentiments de l’époque :
« Je n’ai jamais pu accepter les nazis… Jamais… Mon grand-père a fait la guerre de 1870. Il a été sur le front… Je n’ai jamais aimé la guerre. Alors, ce jour-là, le 17 juillet 1942, le téléphone sonne au commissariat. Quelqu’un demande l’inspecteur Marie. Je dis à Pierre, qui était à côté, dans son bureau : “ C’est pour toi. ” Il s’agissait d’un ami, un policier parisien, qui parlait d’une rafle terrible contre les Juifs à Paris, et qui annonçait pour très bientôt une autre rafle à Nancy. Alors Pierre nous rassemble : “ La situation est grave, dit-il. À Paris, on rafle les Juifs. On rafle, on rafle… ” Et il nous explique ce que son ami lui a révélé : qu’à Paris on emmenait ces Juifs dans un vélodrome avant de les envoyer à l’Est, dans des camps de concentration… Nous nous sommes aussitôt réparti les quartiers de Nancy, les quatre arrondissements, pour prévenir les Juifs de chez nous et leur dire de s’en aller. Parce que d’ici à quelques jours ils risquaient d’être eux aussi embarqués par les Allemands. On leur disait : “ Planquez-vous chez des amis, vite !… ” Ce qu’ils ont fait – mais une trentaine environ ne nous ont pas crus, ils disaient : “ Ce n’est rien, monsieur Bouy, ils veulent seulement nous envoyer en Allemagne pour travailler… ” »
« Le 18 juillet 1942, au lendemain de la rafle de Paris, se souvient à son tour Régine Jacubert, l’une des personnes sauvées, le policier Pierre Marie, que je connaissais bien, est venu me voir et m’a dit : “ Tu te débrouilles comme tu veux, mais tu préviens tous tes coreligionnaires qu’une rafle va avoir lieu demain soir à Nancy. Je suis de ceux qui sont désignés pour faire la rafle, et j’espère bien ne trouver aucun Juif chez lui !… ” Alors, j’ai commencé à courir de porte en porte pour prévenir tout le monde. Pierre Marie m’avait dit que nous devions nous cacher pendant quelques jours, et qu’ensuite il nous donnerait un paquet de fausses cartes d’identité. Ce qu’il a d’ailleurs fait. Malheureusement, un couple de Juifs qui avait fui a été arrêté à la frontière. Les Allemands ont dû les tabasser car ils ont parlé, et le commissaire Vigneron a été arrêté ; il a fait trois mois de prison.
— Trouvez-vous normal, dis-je à Régine Jacubert, ce que les policiers Marie, Vigneron et Bouy ont fait pour vous ?
— À l’époque, j’étais jeune, j’étais naïve. Après la guerre, j’ai compris que les policiers, ici, à Nancy, Vigneron, Marie, Bouy, avaient fait quelque chose d’aberrant, d’exceptionnel ! Tout un commissariat au secours des Juifs !… Mais ce sont des gens que nous avions toujours connus. Je pense qu’ils avaient une certaine estime pour
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