La France et les étrangers: du milieu du XIXe siècle à nos jours
précédente, Jorja avait annoncé à Marcie que son père était mort, mais elle avait bien pris soin de ne pas parler de suicide. Au début, elle ne pensait lui dire la vérité que cet après-midi, dans le cabinet du Dr Coverly. Mais le rendez-vous avec Coverly avait d˚
être annulé: en effet, Jorja et Marcie devaient prendre l'avion à peu près à la même heure pour rejoindre Dominick Corvaisis, Ginger Weiss et les autres.
Curieusement, Marcie reçut assez bien la nouvelle.
Certes, elle pleura, mais ni beaucoup ni très longtemps. A sept ans, elle était assez ‚gée pour comprendre ce qu'était la mort, mais pas encore assez vieille pour en saisir toute la cruelle finalité. Et puis, en abandonnant sa fille à Jorja Alan avait fait un cadeau inespéré à Marcie: pour el;e, il était sorti de sa vie depuis un an et son deuil était déjà fait.
Un autre élément avait permis à Marcie de surmonter son chagrin: la passion qu'elle mettait à collection-ner des dessins représentant la lune. Moins d'une heure après avoir appris la terrible nouvelle, elle était installée à la table de la salle à manger, les yeux secs la langue tirée dans l'effort, un crayon à la main.
L'obsession de Marcie aurait inquiété Jorja même si elle n'avait pas su que d'autres personnes la partageaient et que deux d'entre elles en étaient déjà mortes. La lune n'occupait pas encore chaque heure de la journée de la petite fille. Il n'était malgré tout pas difficile de deviner que l'évolution de cette passion dévastatrice risquait de plonger irrémédiablement Marcie dans les abîmes de la folie.
Son angoisse à propos de Marcie était telle qu'elle put rapidement sécher ses larmes et repartir vers la maison de ses parents o˘ l'attendait sa fille.
Celle-ci, installée à la table de la cuisine, coloriait en rouge les lunes de son cahier de dessin. Pete, le grand-père, était aussi assis à la table, l'air soucieux; il avait imaginé toutes sortes de stratagèmes pour entraîner Marcie dans des activités moins bizarres et plus saines, mais sans aucun succès.
Pendant que Jorja se changeait dans la chambre de ses parents, sa mère vint la rejoindre. En soutien-gorge et petite culotte, elle se sentit nue et vulnérable, cette situation lui rappelait le temps o˘ sa mère la regardait s'habiller quand elle sortait avec des garçons qui ne lui plaisaient pas. Aucun, d'ailleurs, ne lui plaisait. En fait, Jorja avait épousé Alan en partie parce que Mary ne l'aimait pas. Le mariage comme mode de révolte.
Stupide, car elle l'avait en fin de compte payé cher.
Mais c'est l'amour autoritaire et envahissant jusqu'à
la suffocation de Mary qui l'y avait poussée.
Élle ne veut même pas dire pourquoi elle collec-tionne toutes ces lunes, dit Mary.
- Parce qu'elle ne le sait pas. C'est un acte compul-sif. Une obsession irrationnelle; s'il y a une raison, elle est enfouie dans son inconscient, dans un endroit auquel elle-même n'a pas accès.
- Il faut lui confisquer cet album.
- Plus tard, oui. Une étape à la fois, maman.
- Si ça ne tenait qu'à moi, on le ferait tout de suite. ª
Sur la route de l'aéroport, Jorja et Marcie s'étaient installées à l'arrière, et la fillette continuait à parcourir son cahier de dessin, inlassablement.
Mary s'inquiéta successivement de l'avion (un douze places, c'est bien petit !) puis de ce Corvaisis qui lui avait téléphoné. Pete renchérit. Óui, ça ne me plaît pas de te voir en relation avec des types de ce genre, maugréa-t-il en s'arrêtant à un feu rouge.
- que veux-tu dire ? Je ne le connais même pas.
- J'en sais déjà assez. C'est un écrivain et tu sais comment ils sont. Toujours à chercher la bagarre comme Hemingway, ou à boire, ou à se droguer. Ils sont tous dingues.
- Ce voyage est une grave erreur ª, approuva Mary.
«a n'arrêterait donc jamais ?
A l'aéroport, en embrassant ses parents, Jorja leur dit qu'elle les aimait, et eux répondirent de même; le plus curieux était leur réelle sincérité. En dépit des remarques constantes dont elle était l'objet Jorja les aimait. Sans cet amour, elle aurait depuis longtemps cessé d'avoir des relations avec eux. Le petit appareil qui avait éveillé leurs craintes était tout à fait confortable, il y avait de la musique, et le pilote le maniait avec la délicatesse d'une mère berçant son premier-né.
L'avion avait décollé depuis vingt minutes de Las Vegas quand Marcie referma son album et
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