La France et les étrangers: du milieu du XIXe siècle à nos jours
sans impatience que le téléphone se mette à sonner. Bon Dieu, ce que je peux détester cet endroit! pensait-il.
Le souffle incessant de l'air conditionné lui donnait des migraines. Depuis son arrivée le samedi, Falkirk avait consommé de l'aspirine comme si c'était du sucre candi. Il prit deux comprimés dans un petit fla-con et versa dans un verre un peu d'eau glacée, mais ne s'en servit pas pour diluer les comprimés. Il préféra les placer dans sa bouche et les croquer.
C'était amer, écoeurant, et il faillit s'étouffer.
Mais il ne but pas d'eau pour autant.
Il ne recracha pas non plus l'aspirine.
Il persévéra.
Une enfance solitaire et misérable pleine d'incerti-tude et de tristesse, suivie d'une adolescence encore pire, avait appris à Leland Falkirk que la vie était dure, cruelle, parfaitement injuste, que seuls les imbéciles croyaient à l'espoir ou au salut et que seuls survivaient les plus aguerris. Dès son plus jeune ‚ge, il s'était obligé à faire des choses pénibles, tant du point de vue émotionnel que mental ou physique, car il avait décidé
que la douleur ne pourrait que l'endurcir et le rendre moins vulnérable. Régulièrement, il se lançait des défis: ce pouvait être m‚cher des comprimés d'aspi-rine, mais aussi entreprendre ce qu'il appelait une éxpédition de survie ª. Une telle expédition durait deux ou trois semaines et le plaçait face à face avec la mort. Il se faisait parachuter dans une jungle ou un lieu sauvage loin de tout comptoir, sans équipement, sans montre ni boussole. Ses seules armes étaient ses mains nues et ce qu'elles lui permettaient de fabriquer. Son but: rejoindre la civilisation sain et sauf.
A présent, il m‚chonnait de l'aspirine. Les comprimés broyés transformaient sa salive en une p‚te acide.
Śonne, bon sang ª, dit-il à l'adresse du téléphone.
Il attendait des nouvelles qui pourraient le faire sortir de cette taupinière.
Pour le Gisa, le Groupement d'intervention spécial de l'armée des …tats-Unis, plus que pour toute autre branche de l'armée, un colonel était d'abord un homme de terrain et non un bureaucrate. Falkirk était basé à Grand Junction, dans le Colorado, pas à Shenkfield, mais même là-bas, il ne passait que fort peu de temps dans son bureau. Les exigences physiques de son métier lui manquaient et il étouffait dans les pièces froides et aveugles du complexe souterrain de Shenkfield.
L'aspirine était broyée depuis longtemps et il s'était habitué à son amertume. Il n'était plus écoeuré il avait donc le droit de boire le verre d'eau. Ce qu'il fit.
Leland Falkirk se demanda soudain s'il n'avait pas franchi la frontière séparant l'usage constructif de la douleur du plaisir qu'elle peut procurer. La question contenait la réponse: oui, il était devenu, en quelque sorte, masochiste. Un masochiste parfaitement discipliné, qui tirait profit de la douleur qu'il s'infligeait, qui contrôlait cette douleur au lieu de la laisser avoir le pas sur lui, mais un masochiste tout de même.
Il y avait seulement un an, Leland Falkirk n'aurait pas été capable de se juger avec autant de lucidité.
Depuis quelque temps, il ne se contentait pas de remarquer-et d'apprécier-des traits de son caractère qu'il n'avait jamais décelés auparavant, il prenait également conscience de pouvoir modifier quelques-unes de ses habitudes et de ses attitudes. Il savait qu'il pouvait devenir meilleur et plus heureux sans perdre pour autant cette fierté à laquelle il accordait tant de prix. Cet état d'esprit lui paraissait un peu étrange, mais il en connaissait la cause. Après ce qui lui était arrivé deux étés plus tôt, après tout ce qu'il avait vu et considérant ce qui se passait en cet instant précis à Thunder Hill, il ne pouvait décemment pas continuer à vivre comme il l'avait toujours fait.
Le téléphone sonna. Il décrocha en toute h‚te, espérant avoir des nouvelles de Chicago. Mais c'était Henderson qui l'appelait de Monterey, en Californie, pour dire que tout allait bien chez les Salcoe.
L'été de l'année dernière, Gerard Salcoe avait loué
pour lui-même, sa femme et ses deux filles deux chambres au Tranquility Motel, le jour fatidique. Récemment, tous les membres de la famille Salcoe avaient présenté une détérioration certaine de leurs blocages mnémoniques.
Des experts en lavage de cerveau de la CIA-qui ne participaient d'ordinaire qu'à des opérations ultra-
secrètes à
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