La France et les étrangers: du milieu du XIXe siècle à nos jours
manger tout en parlant. Sa barbe dégoulinait de crème, qu'il essuya du revers de la manche. Puis il engloutit son margarita et reposa bruyamment le verre sur la table. ´ quand tes nouvelles ont commencé à se vendre, tu as voulu arrêter. Il a fallu que je te pousse tous les jours. Dès que j'ai eu le dos tourné, quand je suis allé dans l'Oregon par exemple, tu es reparti te réfugier dans ton terrier ! ª
Dom ne répliqua pas. Il savait que le peintre avait entièrement raison. Après avoir quitté l'Oregon et être retourné chez lui, à Laguna, Parker avait continué à
encourager Dom par lettres et au téléphone, mais venant de loin, ces encouragements n'étaient plus assez efficaces pour le motiver. Il avait fini par se convaincre qu'après tout ce qu'il écrivait n'était pas digne d'être publié, alors qu'il avait vendu plus d'une dizaine de nouvelles en moins d'un an. Il arrêta d'envoyer ses histoires aux magazines et ne tarda pas à se fabriquer une nouvelle carapace pour remplacer celle que Par-
ker l'avait aidé à briser. Bien que se sentant toujours poussé à écrire, il reprit son ancienne habitude de reléguer ses manuscrits au fin fond de ses tiroirs sans chercher à les placer. Parker avait continué de le pousser à écrire un roman, mais Dom, convaincu de la modestie de son talent et de son incapacité à se discipliner pour mener à bien un projet de cette envergure, avait toujours refusé de s'y mettre. Il avançait de nouveau tête baissée, parlait d'une voix douce, marchait à petits pas et essayait de vivre avant tout sans se faire remarquer.
´ Mais il y a un an et demi, tout a changé, dit Parker.
Tout à coup, tu as laissé tomber l'enseignement pour te lancer dans le vide et devenir écrivain professionnel.
Pratiquement du jour au lendemain, le petit fonctionnaire est devenu un bohémien. Pourquoi ? Tu ne t'es jamais vraiment penché sur la question. Hein, pourquoi ? ª
Dominick fronça les sourcils et réfléchit un instant.
Il fut étonné de constater qu'il n'y avait jamais pensé
auparavant. ´ Je ne sais pas. Franchement, je ne sais pas. ª
A l'université de Portland, il avait fait une demande de titularisation qu'il avait craint de ne pas voir acceptée, et avait été pris d'une panique grandissante à
l'idée d'être jeté hors de ce port abrité. Obsédé par l'idée de ne pas se faire remarquer, il y avait réussi au point de ne pas l'avoir été suffisamment par les administrateurs du campus; si bien que lorsque arriva le jour du conseil qui devait statuer sur son cas, on commença à se demander si son enthousiasme d'ensei-gnant n'était pas un peu trop tiède pour qu'on lui accord‚t un poste à vie. Dom était assez réaliste pour se rendre compte que si le conseil refusait sa titularisation, il aurait des difficultés à trouver un poste dans une autre université car on voudrait savoir pour quelles raisons Portland ne l'avait pas gardé. Dans un effort inhabituel pour faire sa propre promotion, et dans l'espoir d'échapper au couperet de l'université
avant qu'il ne tomb‚t, il posa sa candidature auprès de plusieurs institutions dans des Etats de l'Ouest, mettant l'accent sur les nouvelles de lui qui avaient été
publiées-car c'était la seule chose sur laquelle il pouvait le mettre.
Le collège de Mountainview, dans l'Utah, comptant seulement quatre mille étudiants, avait été tellement impressionné par la liste des revues dans lesquelles il avait été publié qu'on lui paya un billet d'avion pour une entrevue. Dom accomplit des efforts considéra-bles pour se montrer plus dynamique qu'il ne l'avait jamais été. On lui offrit un contrat de titulaire pour enseigner l'anglais et l'écriture créative; il avait accepté, sinon avec grand délice, du moins avec grand soulagement.
Il but une gorgée de bière, soupira: ´ J'ai quitté Portland à la fin du mois de juin, l'année dernière. J'avais attaché à ma voiture une petite remorque pleine de livres et de vêtements. Je me sentais de bonne humeur.
Je ne considérais pas mon départ de Portland comme un échec. J'avais seulement l'impression de prendre un nouveau départ. J'attendais beaucoup de ce nouveau poste à Mountainview. En fait, je ne me souviens pas d'avoir été plus heureux que ce jour-là. ª
Parker Faine hocha la tête d'un air approbateur.
´ «a, tu pouvais l'être ! Tu allais te retrouver à un poste o˘ l'on n'attendait rien de toi et o˘ ton introversion serait
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