La France et les étrangers: du milieu du XIXe siècle à nos jours
n'est pas cela qui me préoccupe.
C'est la profondeur de ma transe qui est incroyable.
Il y a très peu de somnambules aussi comateux que moi, très peu aussi qui se lancent dans des travaux aussi compliqués. J'ai quand même essayé de boucher mes fenêtres ! On ne se claquemure pas dans sa maison parce qu'on a de petits soucis professionnels.
- Tu t'en fais peut-être plus pour ton bouquin que tu ne veux bien l'admettre.
- Ecoute, Parker, tu ne vas quand même pas oser me dire que mes crises ne sont que la conséquence d'une overdose de boulot ?
- C'est vrai, admit-il.
-Je rentre dans le placard pour m'y cacher. Et quand je me retrouve derrière l'établi, quand je suis à moitié endormi, j'ai l'impression que quelque chose me traque, quelque chose qui me tuera s'il me découvre. Il y a quelques jours, j'ai voulu hurler, mais pas un son n'est sorti. Hier, je criais: "Allez-vous-en ! Allez-vous-en !" Et aujourd'hui, avec le couteau...
- Le couteau ? fit Parker. Tu ne m'en as pas parlé.
-J'étais encore derrière l'établi. Seulement, j'avais un couteau à découper, je l'avais pris au r‚telier, dans la cuisine.
- Pour te protéger, c'est s˚r, mais de quoi ?
- De la chose... de celui qui me traque.
- Et qui est-ce qui te traque ?
-Je n'en sais absolument rien.
- Cette histoire ne me plaît pas. Tu aurais pu te blesser grièvement.
-Ce n'est pas cela qui m'inquiète le plus.
- Dans ce cas, qu'est-ce qui t'inquiète le plus ? ª
Dom regarda autour de lui. ´ Je pourrais... je pourrais blesser quelqu'un. ª
L'air incrédule, Parker Faine dit: ´ Tu prendrais un couteau de cuisine et tu irais tuer quelqu'un pendant ton sommeil ? Impossible ! ª Il avala son margarita.
´ Tu es en train de sombrer dans le mélo. Comme si tu étais un type à commettre un crime...
-Je ne pensais pas non plus être un type à faire des crises de somnambulisme.
- Tout ça, c'est de la foutaise. Il y a une explication.
Tu n'es pas dingue, en tout cas. Parce que les dingues ne doutent jamais d'être sains d'esprit.
-Je crois que je vais aller voir un psychiatre, un conseiller, passer des examens.
-Pour les examens, d'accord, mais pour le psychiatre, pas question. Tu es plus névrosé que psychotique, d'ailleurs. ª
Le serveur apporta des nachos, de la salsa, des oignons et un autre margarita. Parker dégusta lentement les spécialités mexicaines avant de dire: ´ Je me demande si ton problème n'aurait pas un rapport avec ton changement il y a un an et demi.
-J'ai changé, moi ? Comment ? fit Dom, surpris.
-Tu sais très bien de quoi je veux parler. quand on s'est rencontrés à Portland, il y a six ans, tu étais p‚lichon, trouillard, une vraie limace, quoi.
- Une limace, moi ?
- Ouais, et tu ne peux pas dire le contraire. Tu étais brillant, talentueux, mais tu étais quand même une limace. Et tu sais pourquoi ? Eh bien, je vais te le dire.
Tu avais peur de la compétition, des échecs, des succès, de la vie, en un mot. Tu voulais simplement faire ton petit bonhomme de chemin, le plus discrètement possible. Tu t'habillais comme Mr Tout-le-Monde, tu parlais à mi-voix, tu faisais tout pour ne pas attirer l'attention. Tu te réfugiais dans le monde universitaire parce qu'il n'y avait pas trop de concurrence. En un mot, tu étais comme un lapin qui se planque dans son terrier.
- Dis donc, si j'étais la larve que tu décris, pourquoi as-tu eu envie qu'on devienne amis ? fit Dom, un peu excédé.
- Parce que je sais lire au-delà des apparences, mon pote. Je ne me suis pas laissé avoir par ton masque timide et insipide. J'ai senti qu'il y avait quelque chose de spécial en toi. Si je suis un artiste, c'est bien parce que je vois ce que les autres ne peuvent même pas imaginer.
-Tu dis que j'étais... insipide ?
- Oui, monsieur, un vrai pétochard ! Tu sais combien de temps tu as mis pour trouver la force de m'avouer que tu étais écrivain ? Trois mois !
-Je n'étais pas vraiment écrivain à l'époque...
-Tu avais des tiroirs pleins de nouvelles et tu n'avais même pas osé en envoyer une à un magazine.
Pas seulement parce que tu craignais qu'on te la refuse. Non, tu redoutais qu'on te la prenne. La peur du succès, c'est ça. Combien de temps ai-je d˚ insister pour que tu en expédies quelques-unes aux revues littéraires ?
- Euh, je ne sais pas, moi...
- Eh bien, moi, si. Six mois ! Tu te rends compte ?
Il a fallu que je te cajole, que je te supplie presque ! ª
Parker n'avait cessé de
Weitere Kostenlose Bücher