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La France et les étrangers: du milieu du XIXe siècle à nos jours

La France et les étrangers: du milieu du XIXe siècle à nos jours

Titel: La France et les étrangers: du milieu du XIXe siècle à nos jours Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Christophe Verneuil
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étaient raides, ses pieds engourdis.
    ´ Mon Dieu, dit-elle je suis claquée !
    -Je m'en doute, dit George. Vous avez commencé
    à sept heures et demie et l'heure du déjeuner est largement passée. Une greffe d'aorte n'est pas une mince affaire.
    - Et vous, vous vous sentez comme ça quand vous en faites une ?
    - Bien s˚r.
    -Je crois que j'aurais pu travailler encore plusieurs heures.
    - Normal, dit George, l'air amusé. Vous vous sentiez comme Dieu le Père, vous luttiez contre la mort, et nul ne se lasse jamais de ce genre d'activité. ª
    Devant les éviers, ils se débarrassèrent de leurs blouses et ouvrirent des paquets de savon.
    Ginger commença à se laver les mains. Elle s'appuya contre l'évier et se pencha un peu en avant de sorte qu'elle se trouva juste au-dessus de la bondé, de l'eau tourbillonnant dans la cuvette d'acier, des bulles de savon entraînées par l'eau, irrémédiablement, vers l'écoulement du vortex redoutable, de la chute sans fin... Cette fois-ci, une peur irrationnelle s'empara d'elle, plus brusquement encore que dans la charcuterie Bernstein ou le bureau de George, mercredi dernier. En un instant, son attention fut exclusivement attirée par la bonde, qui lui paraissait palpiter, enfler démesurément, comme si elle possédait soudain une vie propre.
    Elle laissa tomber la savonnette, cria de terreur en se reculant de l'évier, heurta Agatha Tandy et poussa un nouveau cri. Elle entendit vaguement George l'appeler par son nom. Mais déjà, il disparaissait à la manière d'une image de cinéma dans un fondu enchaîné pour ne plus laisser place qu'à des nuages, qu'à un brouillard qui l'enveloppa totalement.
    Tout s'évanouissait, à l'exception de l'évier qui paraissait de seconde en seconde plus grand plus solide, surréel. Elle se sentit en danger de mort. …t elle se mit à courir.
    De tous côtés, la brume se refermait sur elle. Bientôt, elle ne sut absolument plus rien de ce qu'elle faisait.
    La première chose dont elle eut conscience fut la neige. Les flocons fondaient sur son visage. Mais ce n'était pas uniquement à cause d'eux que ses joues étaient humides. Elle pleurait doucement.
    Le froid la pénétrait lentement. L'air était glacial bien qu'il n'y e˚t pas de vent. Il lui piquait le nez, lui desséchait les lèvres, lui mordait les mains. Elle fris-sonnait sans pouvoir se maîtriser.
    Elle se rendit alors compte du béton sous ses pieds, du mur de brique contre son dos. Elle était assise par terre dans un coin, les genoux relevés contre le visage, les bras enserrant ses jambes-dans une position de défense et de terreur. La chaleur de son corps s'enfuyait au contact du sol et de la maçonnerie glacés, mais elle n'avait ni la force ni la volonté de se relever et de regagner l'intérieur du b‚timent.
    Elle se souvint d'avoir regardé fixement la bonde de l'évier. En proie au désespoir le plus absolu, elle se rappela sa panique, sa collision avec Agatha Tandy, la surprise sur le visage de George Hannaby. quant au reste... le vide total. Elle supposait qu'elle s'était enfuie devant des dangers imaginaires, comme une folle, devant ses collègues choqués-et qu'elle avait ainsi mis fin à sa carrière.
    Elle se rencogna plus fort contre le mur de brique, souhaitant le sentir aspirer sa chaleur corporelle encore plus vite.
    Elle se trouvait assise au bout d'une large allée, un cul-de-sac utilisé par le personnel de service pour pénétrer au coeur de l'hôpital. A sa gauche, une porte métallique à deux battants conduisait dans la chauffe-rie, et au-delà se trouvait la sortie de l'escalier de secours.
    Inévitablement, le souvenir de l'homme qui l'avait attaquée pendant son internat au Columbia Presbyte-rian de New York lui revint. Cette nuit-là, il l'avait entraînée dans une allée comme celle-ci, en moins large. Néanmoins, dans l'impasse de New York, c'était elle qui avait pris la situation en main et en était sortie victorieuse; alors qu'ici elle lui échappait complètement et qu'elle se sentait faible et perdue. Elle trouva une ironie sinistre à ces réflexions et une effrayante symétrie à se retrouver au point le plus bas de son existence dans un endroit comme celui-ci.
    Le lycée, la faculté de médecine, tous ces jours passés à travailler, tous ces sacrifices, tous ces espoirs et ces rêves réduits à néant. A la dernière minute, alors qu'une brillante carrière de chirurgien s'offrait à elle, elle avait trahi Anna, Jacob,

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