La France et les étrangers: du milieu du XIXe siècle à nos jours
mes joues, mon cou... ma poitrine. Presque partout, en fait.
- Ils ne vous font pas de mal ?
- Non.
-Et pourtant, vous avez peur de ces gants, de l'homme qui les porte ?
-Je suis terrorisé, mais je ne sais pas pourquoi.
-On ne peut s'empêcher de voir tout ce qu'il y a de freudien dans un tel rêve.
-Je suppose.
- Les rêves sont le moyen qu'utilise l'inconscient pour adresser des messages au conscient et, dans le cas qui nous intéresse, la symbolique freudienne est très évidente. Ce sont les mains du diable, qui cherchent à vous arracher à la gr‚ce divine. Ou les mains de votre propre doute. Il se peut aussi que ce soient des symboles de tentations, des péchés qui recherchent votre indulgence. ª
Brendan eut une sorte de sourire. ´ Particulièrement des péchés de chair puisque les mains me touchent presque partout... ª Il retourna à la porte, s'apprêta à
l'ouvrir et dit: Écoutez, je vais vous dire quelque chose de curieux. Pour moi, ce rêve n'est pas symbolique, j'en suis pratiquement certain. Ces mains gantées ne sont rien de plus que des mains gantées, comprenez-vous ? Je pense que quelque part... je ne sais o˘, à cette époque-ci ou à une autre... ces gants étaient bien réels.
-Vous voulez dire que vous avez vécu une situation semblable ?
- Je ne sais pas fit Brendan, les yeux baissés. Dans mon enfance peut-être. Cela n'a s˚rement rien à voir avec ma crise spirituelle. Les deux choses sont certainement-probablement-sans rapport. ª
Le père Wycazik secoua la tête, dubitatif. ´ Deux événements d'une telle importance, une crise spirituelle et un cauchemar récurrent, qui seraient sans rapport ?
La coÔncidence serait bien trop grande. Non, il y a un rapport. Mais dites-moi, à quelle époque de votre enfance auriez-vous été menacé par ce personnage invisible aux gants noirs ?
-Eh bien, je suis tombé deux fois sérieusement malade lorsque j'étais petit. Peut-être ai-je été examiné
par un médecin un peu brusque ou à l'allure inquiétante pendant que j'avais la fièvre, et l'expérience at-elle été si traumatisante que je l'ai réprimée; ce serait elle, alors, qui reviendrait dans mes rêves.
-Lorsqu'un médecin se sert de gants pour un examen, il en porte en général qui sont en latex et jetables.
Pas des gants noirs en caoutchouc épais ou en vinyle. ª
Le curé prit une profonde inspiration et rel‚cha l'air. Óui, vous avez raison. Cependant je ne peux pas m'empêcher d'avoir l'impression que le rêve n'est pas symbolique. Je suppose que c'est stupide. Mais j'éprouve la certitude que ces gants noirs existent réellement, aussi réellement que cette chaise, que les livres sur cette étagère. ª
Sur la cheminée, l'horloge sonna l'heure.
Les soupirs du vent, dans les chéneaux, se transformèrent en hululements.
´ Bien mystérieux ª, fit Stefan, qui ne se référait ni au vent ni au tintement creux du cartel. Il traversa de nouveau la pièce et vint frapper le curé à l'épaule.
´ Mais je vous assure que vous vous trompez. Ce rêve est bien symbolique, il est bien en relation avec votre crise spirituelle. Les mains noires du doute. Votre inconscient vous annonce que vous allez devoir livrer une vraie bataille. Mais c'est une bataille o˘ vous ne serez pas seul. Je serai à vos côtés.
- Merci, mon père.
- Dieu aussi vous assistera. ª
Le père Cronin hocha la tête, mais son visage n'indi-
quait pas qu'il était très convaincu. Állez faire vos valises, à présent.
-J'ai l'impression de vous abandonner...
- Le père Gerrano et les soeurs m'aideront. Allez, partez. ª
Dès qu'il fut seul, Wycazik tenta de se remettre au travail.
Des gants noirs. Ce n'était qu'un rêve, pas particulièrement effrayant en soi. Pourtant, la voix du père Cronin était si douloureuse quand il l'évoquait que le curé
était affecté par la vision de ces gants noirs et luisants sortis de nulle part...
Des gants noirs qui se tendaient, t‚tonnant, aiguil-lonnant...
Le père Wycazik eut le pressentiment qu'il venait de s'embarquer dans l'une des plus difficiles entreprises de sauvetage de sa vie de prêtre.
Dehors, la neige tombait.
C'était le jeudi 5 décembre.
Boston, Massachusetts
Le vendredi, quatre jours après la fugue qu'elle avait faite à la suite de la greffe de l'aorte pratiquée sur Viola Fletcher, Ginger Weiss se trouvait toujours au Memorial Hospital, o˘ elle avait été admise dès que George Hannaby l'avait retrouvée dans
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