La France et les étrangers: du milieu du XIXe siècle à nos jours
nombreux excellents prêtres ont connu semblables crises. Et certains saints ont parfois lutté
avec l'Ange. Mais ils avaient tous deux choses en commun: la perte de leur foi était un processus très lent qui pouvait parfois durer plusieurs années avant de déboucher sur une crise; et tous pouvaient indiquer l'événement précis qui avait permis l'éclosion du doute. La mort injuste d'un enfant, par exemple. Ou une mère frappée par le cancer. Un assassinat. Un viol.
Pourquoi Dieu permet-il la guerre dans le monde ?
Pourquoi la guerre ? Les origines du doute sont innom-brables et, bien que l'Eglise sache y répondre, la doc-trine brutale est rarement un réconfort. Brendan, le doute naît toujours de contradictions spécifiques entre l'idée qu'on se fait de la pitié divine et la réalité des souffrances humaines.
- Ce n'est pas mon cas, fit Brendan.
- Et le seul moyen d'apaiser ce doute est de se con-
centrer sur les contradictions qui vous troublent et d'en discuter avec un guide spirituel.
- Ma foi s'est... effondrée sous moi comme...
comme un plancher qui se dérobe parce qu'il était pourri et qu'on n'en savait rien.
-Vous n'avez pas pensé à la mort, à la maladie, à
l'injustice ? Vous voulez dire que tout s'est écroulé
d'un seul coup ?
-C'est cela, oui.
- Foutaises!ª s'écria Stefan en bondissant de sa chaise.
Le juron et le brusque mouvement firent sursauter le père Cronin.
´ Foutaises ª, répéta le père Wycazik, accompagnant l'expression d'un froncement de sourcils en se tournant vers son curé. Son but était en partie de choquer le jeune prêtre et de l'obliger à s'arracher à l'apitoiement sur soi-même par lequel il se laissait à demi hypnotiser; mais il était également irrité par la frousse paralysante de Cronin et son désespoir entêté.
S'adressant à lui mais faisant face à la fenêtre que décoraient les feuilles d'acanthe du givre et que fouet-tait le vent, le père Wycazik reprit: Ńe me dites pas que de prêtre convaincu en ao˚t vous êtes devenu athée en décembre. Impossible. Surtout si vous préten-dez n'avoir vécu aucune expérience traumatisante qui pourrait en être responsable. Il doit forcément exister des raisons à ce bouleversement, père, même si vous vous les cachez à vous-même; et tant que vous ne vou-drez pas les admettre, les regarder en face, vous reste-rez dans cet état misérable. ª
Un insondable silence remplit la pièce.
Puis le tic-tac étouffé de la grosse horloge en acajou.
Cronin se hasarda alors à dire: ´ Mon père, ne m'en veuillez pas. J'ai beaucoup de respect pour vous et...
cet accès de colère me fait mal. ª
Satisfait de la moindre craquelure dans la carapace de Brendan, ravi des résultats produits par son petit stratagème, le père Wycazik se détourna d'un mouve-
ment vif de la fenêtre et vint poser une main sur l'épaule du curé.
´ Je ne suis pas en colère après vous, Brendan.
Inquiet, frustré de ne pouvoir vous venir en aide, mais pas en colère.
-Croyez-moi, mon père, je ne désire rien plus que trouver une issue mais, en vérité, mon doute n'est pas la conséquence d'une de ces choses que vous avez mentionnées. Je ne sais absolument pas d'o˘ il vient. ª
Wycazik hocha la tête, serra l'épaule de Brendan et regagna son fauteuil. Il resta un moment les yeux clos.
´ Très bien, Brendan. Votre incapacité à identifier la cause de votre défaillance indique qu'il ne s'agit pas d'un problème d'ordre intellectuel; par conséquent, aucune lecture ne vous sera utile. C'est un problème psychologique, les racines du mal sont implantées dans votre inconscient, o˘ elles attendent d'être mises au jour. ª
Le père Wycazik rouvrit les yeux et constata que le jeune prêtre était extrêmement intrigué par sa suggestion. Son esprit ne fonctionnait pas correctement, ce qui signifiait que ce n'était pas Dieu qui avait abandonné Brendan, mais Brendan qui avait manqué à ses engagements envers Dieu.
Ćomme vous le savez certainement, le responsable provincial pour l'Illinois de la Société de Jésus est Lee Kellog. Mais ce que vous ne savez peut-être pas, c'est qu'il travaille avec deux psychiatres, tous deux jésuites, qui prennent en charge les problèmes mentaux et émotionnels des membres de notre ordre. Je pourrais faire en sorte que vous suiviez une analyse auprès de l'un de ces psychiatres.
-Vraiment ? fit Brendan.
-Oui. En dernier ressort, cependant. Si vous enta-mez une
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