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La France et les étrangers: du milieu du XIXe siècle à nos jours

La France et les étrangers: du milieu du XIXe siècle à nos jours

Titel: La France et les étrangers: du milieu du XIXe siècle à nos jours Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Christophe Verneuil
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pour le faire tout seul. Il avait les membres en coton, les genoux qui tremblaient, l'estomac qui se nouait et se tordait. Un deuxième personnage invisible lui appuyait des deux mains sur la tête.
    Il ne pouvait pas parler. Il n'arrivait plus à respirer.
    Il savait qu'il allait mourir. Il fallait fuir ces gens, sortir de cette pièce, mais il n'en avait pas la ressource physique. En dépit de sa vision brouillée, il voyait la porcelaine lisse et la bordure chromée de la bonde dans leurs moindres détails, car son visage n'était qu'à
    quelques centimètres du fond de la cuvette. Il s'agissait d'un modèle ancien avec un bouchon de bonde au bout d'une chaînette mais on avait retiré la pastille de caoutchouc, elle était hors de vue. L'eau coulait, jaillissant du robinet, éclaboussait le fond du lavabo et descendait en tourbillonnant vers la bonde, descendait en tourbillonnant. Les deux personnages qui l'obligeaient à se pencher sur la cuvette criaient, mais il ne comprenait pas ce qu'ils disaient. Descendait en tourbillonnant... descendait... en tourbillonnant.
    Hypnotisé par le maelstrom miniature, il devint de plus en plus terrifié par l'ouverture béante de la bonde, semblable à quelque orifice suceur cherchant à l'entraîner dans ses entrailles puantes. Soudain, il prit conscience que ses assaillants voulaient le faire passer par l'évacuation, se débarrasser ainsi de lui.
    Peut-être se trouvait-il un broyeur à ordures là-dedans et allait-il être débité en menus morceaux avant d'être évacué par l'eau...
    Il s'éveilla en hurlant. Il était dans sa propre salle de bains. Il avait marché dans son sommeil. Il se tenait au-dessus du lavabo et recula quand il découvrit le trou béant qui conduisait aux égouts. Il faillit tomber à la renverse dans la baignoire et se rattrapa de justesse à la patère.
    Tremblant, haletant, il réussit à recouvrer son sang-froid et à contempler le lavabo. Un lavabo de porcelaine avec un robinet chromé. Rien que de très normal.
    Ce n'était pas cette salle de bains qu'il avait vue en rêve.

    Dominick s'aspergea le visage d'eau et regagna sa chambre. Le réveille-matin posé sur la table de nuit indiquait deux heures vingt-cinq.
    En dépit de son absurdité et du fait qu'il semblait sans rapport avec sa vie réelle, il se sentit profondément perturbé par ce cauchemar. Il n'avait cependant ni cloué ses fenêtres ni rassemblé un arsenal sur son lit pendant son sommeil, et il en conclut que ce n'était qu'une légère rechute.
    En fait, c'était peut-être même une indication de l'amélioration de son état. S'il se souvenait de ses rêves, pas seulement de détails mais de tout, du début à la fin, il avait une chance de découvrir la source de l'angoisse qui faisait de lui un promeneur nocturne; il serait alors mieux armé pour faire face au problème.
    Malgré tout, il ne voulut pas se recoucher ainsi, au risque de retrouver l'étrange lieu de son rêve. Le fla-con de Dalmane se trouvait dans le tiroir de sa table de nuit. En principe, il ne devait pas en prendre plus d'un comprimé chaque soir, mais une entorse unique à cette règle ne pouvait lui faire de mal.
    Il passa dans le séjour et alla au bar o˘ il se versa un fond de verre de Chivas Regal. D'une main tremblante, il mit la pilule dans sa bouche; puis il but le Chivas et retourna se coucher.
    Il allait mieux. Ses crises de somnambulisme ne tar-deraient pas à s'arrêter. Dans une semaine, il aurait retrouvé son état normal. Dans un mois, tout cela ne lui paraîtrait plus qu'une étrange aberration, et il se demanderait comment il avait bien pu se laisser submerger un moment par elle.
    En situation précaire sur le fil tremblant de sa conscience au-dessus du gouffre du sommeil, il commença à perdre l'équilibre. C'était une impression agréable, un effondrement en douceur. Mais tandis qu'il coulait lentement dans le sommeil, il s'entendit murmurer dans l'obscurité de la chambre; et ce qu'il s'entendit dire était si bizarre qu'il tressaillit et que son intérêt s'éveilla, alors que le Dalmane et le whisky conju-guaient leurs effets et l'entraînaient inexorablement.
    ´ La lune, dit-il d'une voix p‚teuse. La lune, la lune. ª
    Il se demanda ce que cela pouvait bien signifier. Pour-

    quoi avait-il dit ´ la lune ª ? Il n'en savait rien. Et à nouveau, il répéta: ´ La lune, la lune... ª Puis il s'endormit.
    Il était trois heures onze du matin, le dimanche 8 décembre.
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