La fuite du temps

mari, exaspéré.
     
    Il t'a encore
rien fait.
     
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    — J'attendrai pas
qu'il ait ma peau pour me défendre, je te le garantis, promit-elle, l'air
mauvais.
     
    Quelques minutes
plus tard, Émilien Duval pria une Laurette Morin peu rassurée d'entrer dans son
cabinet dont il referma soigneusement la porte derrière elle.
     
    — Assoyez-vous,
madame, l'invita-t-il en lui désignant un fauteuil un peu incliné doté d'un
repose-tête.
     
    En un tour de
main, l'homme déposa un grand linge blanc sous le menton de sa patiente,
bascula légèrement le fauteuil vers l'arrière, saisit une spatule en bois et
lui ordonna d'ouvrir la bouche pour en explorer les secrets à la lueur d'une
petite lampe. Couverte de sueur et étreignant les bras du fauteuil à les
rompre, Laurette était si paralysée par la terreur qu'elle n'entendit aucun des
commentaires formulés par le praticien durant son examen.
     
    Ce dernier sembla
réaliser tout à coup l'état de sa patiente. Il redressa légèrement le fauteuil
et éteignit sa lampe.
     
    — M'avez-vous
entendu, madame? lui demanda-t-il assez sèchement.
     
    — Quoi? Qu'est-ce
que vous avez dit? — Je viens de vous dire que vos dents sont finies, répéta
Émilien Duvàl.
     
    — Finies! Comment
ça, finies? reprit Laurette en retrouvant peu à peu son aplomb. Mes dents sont
pas finies pantoute! J'ai juste mal à la dent d'en avant que j'ai cassée la
nuit passée.
     
    — Bon. Je
recommence, reprit le dentiste d'une voix plus lente. Vous avez perdu votre
dent parce qu'elle était complètement cariée. Il va falloir que j'arrache sa
racine qui est restée dans votre mâchoire. OK. Jusque-là, c'est clair? — Oui.
     
    — Mais c'est pas
tout. Vous avez quatre autres dents complètement cariées, deux en haut et deux
en bas. En
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    plus, il vous
reste juste deux molaires dont vous avez perdu des morceaux. Il faudrait que je
vous les enlève aussi.
     
    — Viarge! Si vous
me faites tout ça, il me restera presque plus de dents.
     
    — En effet,
madame. Dans ce cas, le mieux serait de vous extraire vos dernières dents qui
sont plus en très bon état et de vous fabriquer des prothèses.
     
    — Des quoi? — Des
dentiers.
     
    — Mais j'en veux
pas de dentiers, moi, protesta Laurette.
     
    — Vous avez pas
le choix, madame. C'est ça ou vous pourrez plus rien mâcher. Vos dents vont
vous faire souffrir tant que les nerfs seront pas morts et après, elles vont
partir par morceaux. À la fin, vous allez tout de même être obligée de vous les
faire extraire. Ce sera juste plus souffrant...
     
    — Moi, j'étais
venue pour que vous m'arrangiez la dent qui me fait mal, s'entêta Laurette.
     
    — Je peux faire
seulement ça, si vous y tenez vraiment, mais je vous garantis que tout va
recommencer la semaine prochaine ou un peu plus tard avec une autre dent... et
ça finira plus. A votre place, je prendrais mon courage à deux mains et je me
débarrasserais tout de suite du problème.
     
    — Des dentiers!
J'en reviens pas, dit Laurette à mi-voix, secouée au-delà de toute expression.
Comme les petites vieilles!
     
    — Presque tous
les adultes de plus de quarante ans en portent, madame, voulut la consoler le
dentiste. Vous êtes bien chanceuse d'avoir conservé vos dents aussi longtemps
en n'en prenant pas trop soin d'après ce que j'ai vu.
     
    — Comment ça en
n'en prenant pas trop soin? s'insurgea sa patiente qui reprenait du poil de la
bête. Je suis pas une cochonne. J'ai toujours brossé mes dents.
     
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    — C'est pas ce que
je veux dire, madame. Je veux uniquement dire que si je me fie à ce que j'ai vu
durant mon examen, vous n'avez jamais fait réparer aucune de vos dents.
     
    — Voulez-vous
aller discuter de ce que vous voulez faire avec votre mari qui attend dans la
salle à côté? offrit Émilien Duval en constatant l'indécision de sa patiente.
     
    Vous avez le
choix de faire extraire uniquement ce qui reste de la dent qui vous fait
souffrir. Mais je vous préviens tout de suite que ça va vous laisser un grand
trou pas très beau.
     
    Vous pouvez aussi
vous faire arracher toutes les dents et c'est ce que je vous suggère. À vous de
décider. Comme j'ai pas d'autres patients avant huit heures trente, je pourrais
vous faire ça tout de suite.
     
    — Si vite que ça?
— En moins d'une heure, vous pourriez être débarrassée de vos maux de dents
pour le restant de votre vie.
     
    Prenez quelques
minutes pour en discuter avec votre