La fuite du temps
commencer.
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— Je dis pas le
contraire, affirma-t-elle en pénétrant dans la salle de télévision après avoir
rangé ses livrets de timbres dans l'armoire, mais je suis fatiguée de voir leurs
maudits reportages dessus. Moi, les pavillons thématiques et toutes leurs
bébelles, je vais aller les voir quand ils auront fini de les bâtir. Je tiens
pas à en entendre parler avant pendant des heures.
— A soir, ils
parlent de La Ronde. Viens t'asseoir. Ça vaut la peine. Il paraît que ça va
être au moins cinq fois plus gros que le parc Belmont. Ils disent aussi qu'il
va y avoir un train dans les airs pour faire le tour des îles. Est-
ce que c'est
assez fort pour toi, une affaire comme ça? poursuivit un Gérard enthousiaste.
— J'ai passé
l'âge des jeux, décréta sa femme.
— Mais tu vas
aller voir quand même, affirma Gérard, sarcastique.
— Ben sûr, si je
trouve assez d'argent pour payer les vingt piastres que le passeport va coûter.
— Il paraît
qu'ils vont étamper les passeports dans chaque pavillon qu'on va visiter.
— Les étampes me
font pas un pli et...
La sonnerie du
téléphone lui coupa la parole.
— Bon. Qui est-ce
qui vient encore nous achaler à cette heure-là? maugréa-t-elle en quittant à
regret son fauteuil où elle venait de s'asseoir pour aller répondre dans la
cuisine.
— Non, c'est pas
vrai! s'exclama-t-elle après avoir écouté. On arrive.
Le ton de
Laurette alerta Gérard qui se leva pour baisser le son du téléviseur. Lorsqu'il
tourna la tête vers la porte, il aperçut sa femme, debout, apparemment en état
de choc.
— Qui c'était?
lui demanda-t-il.
— Marthe Paradis.
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— C'est qui,
cette fille-là? — La fille qui travaille avec Jean-Louis. Elle est à l'hôpital
avec lui, ajouta Laurette, la voix éteinte.
— Qu'est-ce
qu'ils font là, tous les deux? — Il paraît qu'il y a eu un hold-up à la banque.
Jean-
Louis a été
blessé.
— Hein? Est-ce
que c'est grave? fit Gérard en s'avançant vers sa femme.
— Elle m'a dit que
non, mais je veux aller à l'hôpital tout de suite. Dépêche-toi, lui
ordonna-t-elle.
Gérard, aussi
bouleversé que sa femme, s'empressa de s'habiller. Tous les deux montèrent à
bord de la vieille Chevrolet et prirent la direction de l'Hôpital Notre-Dame,
rue Sherbrooke. A leur arrivée à l'urgence, Marthe Paradis se porta à leur
rencontre.
— Bonsoir, les
salua la jeune femme en leur adressant un sourire rassurant. Le docteur vient
d'examiner votre garçon. Tout va bien, comme je vous l'ai dit au téléphone.
Il a pas de
fracture du crâne. Le docteur a dit qu'il avait juste une sérieuse commotion.
— Ah bon, dit
Laurette en poussant un soupir de soulagement.
— Il vient de lui
faire une dizaine de points de suture sur la tête. La garde-malade m'a dit que,
dans dix minutes, il va pouvoir retourner à la maison.
— Comment c'est
arrivé, cette affaire-là? lui demanda Gérard, encore passablement secoué.
Marthe Paradis
entraîna les Morin vers des chaises libres et leur raconta ce qui s'était
produit lors du vol à main armée.
— C'est en
voulant me défendre que ça lui est arrivé, conclut-elle son récit avec une
certaine émotion.
— Cybole, il
aurait pu se faire tuer comme rien! s'écria Gérard.
4r3
Marthe se
contenta de hocher la tête.
— Je suis ben
fière que mon Jean-Louis se soit montré aussi courageux, dit Laurette, les
larmes aux yeux.
Au même moment,
Jean-Louis apparut dans la salle d'attente, le col de sa chemise blanche
souillé par du sang et un large bandage autour de la tête. Ses parents et
Marthe se levèrent immédiatement et vinrent vers lui.
— Comment te
sens-tu? lui demanda Marthe.
— Un peu étourdi,
lui répondit-il. Le docteur m'a prescrit des pilules contre le mal de tête.
Puis, prenant
conscience de la présence de ses parents, il ajouta: — C'était pas nécessaire
de vous déranger.
— Es-tu capable
de marcher normalement? lui demanda sa mère. Si t'es pas capable, il y a des
chaises roulantes à l'entrée.
— Non. Je suis
capable de marcher, m'man.
— Bon. Je vais
rapprocher le char, déclara son père, prêt à se diriger vers la sortie.
Mademoiselle, partez pas.
On va aller vous
reconduire chez vous, ajouta-t-il. Il a commencé à mouiller.
Marthe ne
protesta pas. Lorsqu'elle
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