La fuite du temps
peignée,
arrangée comme
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une vraie folle.
Ils ont ben bon coeur, mais je trouve que c'est ben des troubles pour juste
manger un repas. Ils auraient pu nous payer à souper au New Napoléon de la rue
Sainte-Catherine, ça m'aurait fait autant plaisir et ça leur aurait coûté
peut-être moins cher.
— C'est ça,
plains-toi donc, cybole! Tous les ans, c'est la même rengaine. Tu brailles
parce qu'on fait presque rien pour fêter et quand quelqu'un te fait un cadeau,
tu trouves encore le moyen de te lamenter.
Laurette haussa
les épaules et disparut dans sa chambre pour aller chercher ce qui lui était
nécessaire pour se coiffer.
Le lendemain
matin, elle suggéra fortement à son mari de revenir tôt du garage de Rosaire de
manière à avoir le temps de faire sa toilette avant d'aller souper.
— Puis gêne-toi
pas pour lui dire qu'on va manger à soir au Altitude 131 et oublie pas
d'ajouter que c'est un restaurant chic, dit-elle au moment où il boutonnait son
manteau avant de sortir. Quand il va dire ça à ta soeur, elle va s'apercevoir
qu'elle est pas toute seule à aller dans les belles places.
Ce matin-là, elle
attendit neuf heures pour téléphoner à Carole pour la prévenir qu'elle ne
pourrait pas aller lui rendre visite durant l'après-midi. Elle en profita pour
lui demander des nouvelles de sa visite chez le médecin, l'avant-veille.
— Tout a l'air
correct, m'man. Il pense que je suis capable de continuer de travailler au
bureau encore deux ou trois semaines, répondit la jeune femme. Le petit
pourrait être pour la deuxième ou troisième semaine de décembre, d'après lui.
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— Si t'as besoin
de quelque chose, tu m'appelles tout de suite, lui ordonna sa mère.
Cet après-midi-là,
Gérard revint à la maison un peu après quatre heures.
— Est-ce que
c'était ton dernier samedi au garage? lui demanda sa femme en train de se
coiffer. Il me semble que tu m'as dit que c'était aujourd'hui que tu finissais
de rembourser le char.
— C'est vrai,
reconnut son mari. J'aurais pu dire à Rosaire que j'arrêtais aujourd'hui, mais
j'ai pensé à mon affaire et je me suis dit que je continuerais un petit bout de
temps pour compenser la pension qu'on n'a plus de «tu sais qui».
— Tu peux ben
dire «Carole», se rebella sa femme.
C'est encore ta
fille, après tout.
— Laisse faire.
— As-tu dit au
moins à Rosaire où on allait souper? lui demanda-t-elle, bien décidée à ne pas
gâcher cette sortie par une dispute au sujet de leur fille enceinte.
— Ben oui.
— Puis, qu'est-ce
qu'il a dit? — Il a dit qu'on était pour aimer ben ça. Il paraît qu'il amène
Colombe là au moins une fois par mois.
— Bout de viarge!
s'exclama Laurette. J'aurais dû m'y attendre! Ben sûr, ta soeur connaît déjà la
place. Il y a rien de trop beau pour elle...
— Ça change quoi
qu'elle y aille de temps en temps? lui demanda Gérard, agacé. Ça nous enlève
rien.
A cinq heures,
Laurette et son mari, tout endimanchés, décidèrent de partir.
— Vous m'aviez
pas dit que votre réservation était pour six heures et demie? demanda
Jean-Louis à sa mère.
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— Ben oui.
— Vous avez pas
peur d'arriver ben trop de bonne heure? — Pantoute. Le temps de trouver où il
est, ce restaurant-
là, on sera pas
trop d'avance.
Laurette ne
croyait pas si bien dire. On aurait juré que depuis qu'il faisait plus froid,
Gérard avait encore ralenti quand il se mettait au volant de sa vieille
Chevrolet. Rien ne semblait le réjouir autant que de pouvoir s'installer
confortablement dans le sillage d'un autobus et d'effectuer les mêmes arrêts.
Le nez presque appuyé dans le pare-
brise, les mains
crispées sur le volant, le quinquagénaire conduisait avec une telle lenteur que
sa présence soulevait très souvent un concert de klaxons.
— Verrat, Gérard,
grouille-toi un peu! s'impatienta sa femme. Si tu continues à te traîner comme
ça, on va ben arriver là-bas après le jour de l'An, lui dit sa femme, agacée.
— Calme-toi les
nerfs, lui ordonna sèchement son mari, énervé par la circulation. Moi, venir
dans l'ouest de la ville en plein samedi soir...
Finalement, le
couple n'arriva à destination qu'un peu après six heures. Après s'être informé,
il finit par trouver le bon ascenseur qui l'expédia dans les hauteurs de la
Place Ville-Marie. Quand Laurette se rendit
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