La fuite du temps

compte qu'elle devait emprunter un
second ascenseur pour se rendre au quarante-deuxième étage, elle ne parvint pas
à dissimuler son inquiétude.
     
    — Mon Dieu!
dit-elle à mi-voix, mais c'est ben haut, cette affaire-là.
     
    A leur arrivée
dans le hall du restaurant, les Morin, intimidés par le cadre luxueux, durent
attendre l'apparition d'un maître d'hôtel à l'air compassé. Vêtu d'un costume
noir, l'homme replaça du bout des doigts la petite boucle
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    qui ornait sa
chemise blanche avant de leur demander leur nom. Il consulta la feuille placée
devant lui sur un lutrin et cocha leur nom.
     
    Laurette lui
tendit le coupon-cadeau après l'avoir tiré de son sac à main.
     
    — Merci, madame,
lui dit-il. Vous le remettrez à la caisse, à la fin de votre repas. Si vous
voulez bien laisser votre manteau au vestiaire, ajouta-t-il en désignant de la
main un comptoir derrière lequel officiait une jeune femme.
     
    Gérard et sa
femme s'exécutèrent.
     
    — J'espère qu'on
se fera pas voler notre manteau, chuchota Laurette, en effaçant du plat de la
main les plis de sa robe bleue qui la boudinait un peu. Replace ta cravate,
ajouta-t-elle. Elle est de travers.
     
    Tous les deux
s'avancèrent vers le maître d'hôtel qui les attendait près de l'entrée. L'homme
leur fit signe de le suivre.
     
    — Est-ce qu'on
peut être proches d'une fenêtre? lui demanda Laurette qui venait de se rappeler
le conseil de Gilles.
     
    — Je vais voir,
madame, répondit l'homme qui, de toute évidence, s'attendait à un pourboire
pour satisfaire ce type de demande.
     
    Il installa les
Morin près d'une baie vitrée et ne se décida à les quitter que lorsqu'il fut
certain qu'aucune gratification ne lui serait offerte. Le couple eut à peine le
temps de se rendre compte qu'une vingtaine de tables étaient occupées autour
d'eux qu'un serveur assez âgé se présenta à sa table.
     
    — Est-ce que je
peux vous offrir un apéritif? Gérard consulta sa femme du regard avant de
refuser.
     
    — Voulez-vous
choisir un vin pour votre repas? demanda-t-il en tendant à Gérard une carte des
vins insérée dans un étui en cuir rouge foncé.
     
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    Gérard consulta
rapidement la carte en concentrant toute son attention sur le prix exigé pour
chaque bouteille.
     
    Après un moment
d'hésitation, il pointa du doigt le vin le moins coûteux. Le sommelier les
quitta après avoir repris possession de sa carte des vins. Gérard ne put
s'empêcher de dire à voix basse: — Cybole! T'as pas vu le prix du vin? C'est
écoeurant comme c'est cher. J'ai pris une bouteille à douze piastres, c'était
la moins dispendieuse. Ça, c'est pas payé par Gilles et Florence.
     
    — T'aimes pas le
vin et moi non plus, lui fit aigrement remarquer Laurette.
     
    — Je le sais ben,
mais presque tout le monde a l'air d'en commander. Si je l'avais pas fait, on
aurait eu l'air de deux pauvres.
     
    L'ambiance était
agréable. Peu à peu, les tables se remplissaient.
     
    Les serveurs,
l'air affairé, exécutaient un véritable ballet. Un pianiste et un violoniste
venaient de monter sur une petite scène et avaient entrepris de jouer en
sourdine.
     
    L'air bruissait
des conversations tenues à voix basse.
     
    — C'est chic en
pas pour rire, admit Laurette, vivement impressionnée par tout ce luxe ambiant.
     
    Après avoir
admiré le panorama de Montréal tout illuminée à ses pieds, elle ne cessait de
regarder autour d'elle en s'attardant sur la décoration de l'endroit et sur les
toilettes portées par les femmes présentes.
     
    Un serveur d'un
certain âge se matérialisa soudain près de leur table au moment où un couple
très âgé prenait place à la table voisine.
     
    — Madame et
monsieur viennent-ils pour le buffet ou mangent-ils à la carte? — Pour le
buffet, dit Laurette.
     
    — Parfait, fit-il
en déposant un seau à glace sur un trépied, près de Gérard.
     
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    Avec des gestes
maniérés, le serveur en tira une bouteille de vin dont il retira le bouchon
avant d'en verser quelques gouttes dans la coupe placée devant Gérard.
     
    Durant un moment,
ce dernier le regarda, ne sachant pas trop ce qu'il attendait, debout près de
lui.
     
    — Si monsieur
veut se donner la peine de goûter, finit par dire le serveur d'un air hautain.
     
    Gérard but et lui
dit qu'il était bon.
     
    Le serveur
remplit les coupes après leur avoir fait remarquer, toujours de son petit ton
déplaisant, qu'ils pouvaient aller se