La fuite du temps

correct.
     
    — Deux ou trois jours
pour un bras brisé? s'étonnât-
    elle. Voyons
donc! Il a certainement autre chose pour le garder aussi longtemps et...
     
    — Mais non,
madame. Le docteur m'a dit que le bras était pas brisé. On veut juste s'assurer
que son bras et son épaule sont en bon état. Ne vous inquiétez pas. Tout va
bien aller.
     
    — Merci de
m'avoir appelée, monsieur, dit-elle avant de raccrocher.
     
    Elle s'assit un
moment sur une chaise au bout de la table et s'alluma fébrilement une
cigarette.
     
    — Bonyeu!
Qu'est-ce qui vient encore de nous tomber sur la tête? Il nous manquait plus
que ça!
     
    Elle jeta un coup
d'oeil à l'horloge murale avant d'appeler chez Gilles qui devait être revenu de
l'école, à cette heure-là. Elle eut la chance de tomber sur son fils.
     
    — Ton père vient
d'avoir un accident sur le port, lui annonça-t-elle, énervée. Il paraît qu'il a
été accroché par un truck. Il est à l'hôpital de Cartierville. Penses-tu que tu
pourrais m'amener là? L'instituteur lui promit de venir la prendre dans
quelques minutes.
     
    Lorsque la Toyota
orangée s'immobilisa devant la porte de l'appartement de la rue Emmett,
Laurette avait endossé son manteau depuis longtemps et guettait son arrivée,
debout derrière la fenêtre de sa chambre à coucher. Elle ne laissa pas à son
fils le temps de descendre de son véhicule.
     
    Elle se précipita
à l'extérieur et monta à bord de la petite voiture japonaise.
     
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    — T'es ben fin de
venir me conduire à l'hôpital, dit-
    elle à son fils
en refermant la portière.
     
    Au moment où
Gilles remettait son automobile en marche, elle remarqua soudain qu'il tombait
de gros flocons de neige.
     
    — Je suis
tellement énervée que j'avais même pas vu qu'il neigeait à plein ciel,
reprit-elle.
     
    — Ça tombe pas
mal depuis au moins une heure, m'man, se contenta de dire Gilles en tentant
d'immobiliser la Toyota coin Emmett et Fullum.
     
    — Ça a l'air
glissant sans bon sens, ajouta-t-elle en constatant que l'automobile patinait
au moment où son conducteur tournait au coin de la rue.
     
    — C'est sûr qu'il
faut faire ben attention, reconnut Gilles en redoublant de prudence. Bon.
Dites-moi donc ce qui est arrivé exactement à p'pa, demanda-t-il au moment où
ils arrivaient au coin de la rue Sainte-Catherine.
     
    — Si ça te fait
rien, j'aime mieux attendre qu'on soit rendu à l'hôpital pour te raconter ça,
fit sa mère, en fixant la rue d'un regard inquiet. Énerve-toi pas. Il paraît
que c'est pas trop grave. Contente-toi de conduire ton char sans avoir
d'accident. Il manquerait plus qu'on se ramasse à l'hôpital tous les deux. Ce
serait ben le boutte!
     
    À leur arrivée à
l'hôpital, on leur apprit que Gérard Morin avait déjà été installé dans une
chambre du troisième étage. Après avoir doucement poussé la porte de la
chambre, Gilles et sa mère découvrirent le blessé, le visage blafard, étendu
sur un lit, le bras droit maintenu en extension par un système de poids et de
poulies. À leur entrée dans la pièce, Gérard ouvrit les yeux et eut un pauvre
sourire.
     
    — Mon pauvre
Gérard! Te v'ià ben amanché, le plaignit sa femme en s'approchant de lui.
Veux-tu ben me dire comment t'as fait ton compte?
     
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    — Je l'ai pas vu,
ce calvaire de truck-la.! dit le blessé avec rage. Quand je l'ai entendu venir,
j'ai eu juste le temps de me tourner de bord et il m'a frappé. Tu parles d'une
maudite malchance!
     
    — Qu'est-ce
qu'ils vous ont fait, p'pa? lui demanda Gilles. Vous avez pas de plâtre? — Il
paraît que ce sont des muscles qui sont déchirés.
     
    Le docteur a
parlé aussi dé tendons et de je sais pas quoi.
     
    Si j'avais juste
le bras cassé, je serais déjà revenu chez nous avec le bras dans le plâtre. Là,
ils vont me garder un bout de temps pour voir si ça se replace ben. Le docteur
avait pas l'air content après les examens.
     
    Découragée,
Laurette rentra à la maison et téléphona à chacun de ses enfants pour leur
apprendre la mauvaise nouvelle. Après le souper, elle occupa la soirée en
tentant de s'intéresser aux émissions télévisées sans grand succès.
     
    Un peu avant onze
heures, elle se mit au lit, mais elle passa une bonne partie de la nuit à se
demander comment elle allait parvenir à boucler son budget sans le salaire de
son mari. Cependant, elle fut rassurée deux jours plus tard quand l'agence qui
employait Gérard lui