La fuite du temps

du
printemps. Pour le plus grand plaisir de leur mère, deux soirées leur avaient
suffi pour venir à bout de la saleté accumulée dans l'appartement.
     
    — A cette heure,
si votre père peut sortir de là-bas, on va pouvoir avoir une vie normale,
dit-elle ce soir-là après avoir lavé le linoléum de la cuisine.
     
    Chapitre 23
    Le retour Deux
semaines plus tard, au lendemain de l'ouverture officielle de «Terre des
hommes», Laurette était occupée dans sa cuisine à repasser les vêtements lavés
la veille quand la voix de Donald Lautrec entonna la chanson-thème de l'Expo 67
à la radio. La ménagère se précipita vers l'appareil pour syntoniser un autre
poste.
     
    — Aïe, moi, j'en
peux plus d'entendre son maudit «Un jour, un jour, quand tu viendras...»!
dit-elle à voix haute.
     
    Ça fait trois
fois qu'ils font jouer cette chanson-là depuis midi. Il y a tout de même des
limites à écoeurer le monde avec ça, bonyeu! C'est ben beau l'Expo, mais il y a
pas rien que ça dans la vie.
     
    — Cybole, tu
vieillis la mère! T'es rendue que tu te parles toute seule maintenant, fit la
voix de Gérard apparu comme par magie derrière la porte-moustiquaire.
     
    — Seigneur! Ce
que tu m'as fait peur! s'exclama sa femme en posant une main sur son ample
poitrine. Qu'est-ce que tu fais là? — Est-ce que je peux entrer au moins?
demanda Gérard en secouant la porte pour lui rappeler de soulever le crochet.
     
    — J'arrive.
Attends.
     
    Elle fit le tour
de sa planche à repasser et vint lui ouvrir la porte. Au même moment, elle vit
la figure hilare de
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    Richard en train
d'entrer dans la cour en portant la valise de son père.
     
    — D'abord,
comment ça se fait que vous passez par en arrière? demanda-t-elle aux deux
hommes.
     
    — On voulait vous
faire une surprise, m'man.
     
    — Quand est-ce
que t'as su qu'ils te laissaient sortir? fit-elle en embrassant son mari sur
une joue.
     
    — A midi.
     
    — T'as pas à y
retourner? — Non. C'est fini. Le docteur m'a donné une série d'exercices à
faire tous les jours et une semaine de congé de plus. D'après lui, je suis à
peu près correct.
     
    — Ouf! enfin, dit
Laurette, soulagée au-delà de toute expression.
     
    — Quand j'ai su
que je pouvais sortir aujourd'hui, j'ai pris une chance d'appeler Richard pour
voir s'il était capable de venir me chercher, expliqua Gérard. Puis, me v'ià.
     
    Laurette
débrancha son fer à repasser et leur servit un grand verre de boisson gazeuse.
     
    — Tu restes à
souper avec nous autres, dit-elle à son fils.
     
    — Pas à soir,
m'man. Jocelyne est supposée faire à souper de bonne heure et après ça, je dois
l'amener faire un tour à Longueuil avec la petite.
     
    — Qu'est-ce qu'il
y a là? — Rien de spécial. Ça fait assez longtemps qu'elle m'achale pour que je
l'amène traverser le pont-tunnel qui est ouvert depuis un mois. En fin de
semaine, on est supposés étrenner notre passeport de l'Expo.
     
    — Si vous allez
là, laissez-moi la petite en passant, proposa Laurette.
     
    — Peut-être une
autre fois, m'man, mais Jocelyne veut qu'on l'amène voir ça aussi.
     
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    — Elle a même pas
quatre mois, tenta de le raisonner sa mère. Vous avez pas peur qu'il lui arrive
quelque chose avec toute la foule qu'il y a là. Je regardais ça aux nouvelles
hier soir, c'est noir de monde.
     
    — Si c'est trop
de trouble de traîner un enfant, je vous garantis qu'on va la faire garder la
prochaine fois... s'il y en a une. J'ai pas grand temps pour m'amuser depuis un
mois ou deux. Ou je cours des contrats ou je suis poigne pour remplacer un de
mes chauffeurs en congé.
     
    Quelques minutes
plus tard, Richard quitta l'appartement de ses parents, les laissant en
tête-à-tête.
     
    — Il faudrait ben
que tu téléphones pas trop tard à la famille pour que personne aille pour rien
à Notre-Damede-
    la-Merci, lui
suggéra Laurette.
     
    Après une brève
hésitation, Gérard s'approcha du téléphone et se mit à faire quelques appels.
Il rejoignit facilement ses beaux-frères Armand, Bernard et Rosaire qui
venaient de rentrer à la maison pour le souper. Tous se déclarèrent enchantés
de le savoir de retour chez lui.
     
    Rosaire lui
proposa même de revenir dès le samedi suivant pour continuer à laver les
voitures mises en vente à son garage. Gilles montra la même joie tandis que
Denise lui promit une courte visite en compagnie de Pierre et de ses enfants
pour le soir même.