La fuite du temps
l'épaisse
tignasse rousse penché au-dessus du contenu de l'un des tiroirs qu'il venait de
renverser sur le lit. Le voleur, manches retroussées et cigarette au coin de la
bouche, était si concentré par son travail qu'il ne remarqua même pas sa
présence dans l'embrasure de la porte.
Une colère folle
aveugla la locataire des lieux à la vue de ce spectacle.
— Ah ben, mon
écoeurant, par exemple! s'écria-t-elle, bloquant la porte de sa masse
imposante.
Le voleur,
surpris, chercha fébrilement quelque chose sur le dessus de la commode. Au
moment où il allait s'en emparer, Laurette découvrit qu'il s'agissait d'un
pied-de-biche,
l'outil dont il
s'était probablement servi pour forcer la porte d'entrée.
L'homme ne fut
pas assez rapide. Elle plongea sur l'instrument et le jeta au fond de la pièce
avant de l'agripper par le devant de sa chemise avec une poigne d'acier. Avant
même que l'inconnu ait le temps de réagir, elle lui flanqua une gifle qui lui
fit plier les genoux. Pour le second coup, elle prit la peine de fermer le
poing, et le voleur perdit l'équilibre et se retrouva étendu, les quatre fers
en l'air, sur le lit, au milieu de tout ce qu'il y avait projeté.
— Ote-toi de là,
mon bâtard! hurla Laurette, en proie à une fureur noire en le relevant après
l'avoir empoigné de nouveau. Il manquerait plus que tu me salisses mon
couvre-pied!
Le voleur
saignait du nez et le côté gauche de son visage portait l'empreinte d'une main.
— T'as juste à
appeler la police, dit-il en se secouant pour se libérer de la poigne de la
femme.
— Je l'appellerai
tout à l'heure, quand ça me tentera, lui jeta Laurette à la face. Tu vas
d'abord me remettre cette
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chambre-là en
ordre, et pas plus tard que tout de suite ou je t'étrangle, mon enfant de
chienne! Je vais t'apprendre à venir voler le pauvre monde, moi. Envoyé!
Grouille!
Sur ces mots bien
sentis, elle le projeta vers l'avant. Le visage de Laurette était si terrifiant
que l'autre cessa de lui résister de crainte qu'elle passe aux actes.
— Replie-moi mon
linge et remets-le dans chacun des tiroirs, lui ordonna-t-elle en lui décochant
une sévère bourrade. Et arrange-toi pour pas le tacher avec du sang.
Le jeune homme ne
se fit pas répéter l'invitation. Il se mit à placer du mieux qu'il pouvait le
contenu de chaque tiroir à sa place avant de remettre celui-ci dans le meuble.
Les bras croisés
sur son ample poitrine et le regard en feu, Laurette l'observait, se
contentant, de temps à autre, de lui crier: «Pas là!» ou «Mieux que ça!» pour
l'inciter à travailler plus soigneusement.
Il fallut au
voleur une bonne quinzaine de minutes pour remettre de l'ordre dans la chambre.
Quand il eut fini, Laurette lui ordonna, l'air toujours aussi mauvais: — A
cette heure, tu vas aller remettre de l'ordre dans les autres appartements où
t'es passé.
— Je suis pas
allé ailleurs.
— On va aller
voir ensemble, décida-t-elle en l'empoignant.
Elle le traîna
par le bras à travers l'appartement pour vérifier s'il avait dit vrai.
Lorsqu'elle fut convaincue qu'il ne lui avait pas menti, elle s'arrêta dans la
cuisine, près de son téléphone, prête à le décrocher. Le voleur malmené n'en
menait pas large. Il n'éprouvait plus aucune sensation dans le bras qu'elle
tenait.
Finalement,
Laurette changea d'avis. Elle lâcha le bras du jeune inconnu pour l'attraper
rudement par le collet.
— Vide tes poches
sur la table, lui ordonna-t-elle.
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L'individu
obtempéra à contrecoeur. Il déposa sur la table de cuisine un vieux
porte-monnaie au cuir fatigué et une patte de lapin grisâtre retenant deux ou
trois clés. Sans le lâcher, Laurette ouvrit le portefeuille et découvrit une
carte d'identité.
— C'est toi ça,
Guy Monette? lui demanda-t-elle rudement.
L'autre ne
répondit pas.
— Veux-tu ma main
sur la gueule pour t'aider à me répondre? dit-elle, menaçante, en levant la
main.
— Oui, c'est moi,
répondit le jeune homme, définitivement dompté.
— Ben, écoute-moi
ben, Guy Monette de la rue Moreau, reprit-elle en approchant dangereusement son
visage de celui du voleur. Si jamais je te revois la face dans le coin, mes gars
vont t'arranger le portrait au point que ta propre mère te reconnaîtra pas. Tu
m'entends? — Tu m'entends? lui hurla-t-elle dans les oreilles.
— Ben oui. Je
suis pas
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