La fuite du temps
tendance à s'amincir
au fil des
années. Sans enfant, l'épouse du marchand de voitures usagées dépensait son
énergie à jouer du piano et à participer à d'interminables parties de bridge
avec des amies. Toujours impeccablement coiffée et très bien habillée, elle
avait conservé sa tendance à regarder Laurette de haut, ce qui avait le don de
faire sortir cette dernière de ses gonds.
— Le portrait
tout craché de la belle-mère! s'écriait Laurette après chacune des rares
visites de sa belle-soeur.
Ça parle en
termes et ça pète plus haut que le trou.
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La femme de
Gérard Morin aurait probablement été étonnée d'entendre ce que sa belle-soeur
disait sur son compte, une fois montée à bord de la voiture de son mari.
«Pauvre Gérard!
disait-elle invariablement. Comment fait-il pour vivre avec une femme aussi
négligée et aussi vulgaire?»
— Puis, qu'est-ce
que vous faites de bon? demanda Rosaire avec bonne humeur. Hier, j'ai pas eu le
temps de te parler de la journée, ajouta-t-il à l'intention de son beau-
frère. J'ai pas
eu une minute à moi.
— On n'a pas
grand-chose de neuf, répondit Laurette en sortant du réfrigérateur une
bouteille familiale de Kik-
Cola.
— Vous êtes
toujours contents de la Chevrolet? Ce char-là est pas neuf, mais il va vous
durer un bon bout de temps, je vous le garantis.
— Je sais pas si
je dois être contente, répondit Laurette en déposant un verre devant chacun de
ses invités. J'espère qu'il est solide en tout cas parce qu'on a dû risquer de
se faire tuer au moins cent fois dans ce maudit char-là depuis que Gérard le
conduit.
— Exagère donc,
se contenta de répliquer son mari, piqué au vif par la remarque de sa femme.
Colombe et
Rosaire rirent.
— Et vous autres?
Qu'est-ce que vous faites? Il me semble qu'on vous voit pas ben souvent?
demanda Laurette en s'adressant à sa belle-soeur.
— Je cours du
matin au soir, affirma Colombe d'une voix légèrement affectée. Les journées
passent et je les vois pas. Rosaire est occupé au garage six jours par semaine
et, la plupart du temps, il prend au moins la moitié du dimanche pour remplir
des papiers dans son bureau.
— Sainte bénite,
Colombe, une chance que t'as pas d'enfants à nourrir et que t'as une femme de
ménage pour
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s'occuper de ta
maison, lui fit remarquer Laurette, non sans une certaine méchanceté.
— C'est vrai que
ma femme a une vie ben dure, fit Rosaire en riant. Ça a l'air de rien, mais
courir les magasins du matin au soir pour dépenser l'argent que j'ai pas encore
gagné, c'est éreintant en calvince.
— Rosaire!
s'exclama Colombe, outrée. Je t'ai déjà dit que ce genre de remarque.là était
déplacé.
— C'est vrai,
reconnut son mari en adressant un clin d'oeil à Gérard. Ta soeur, mon Gérard,
joue aussi au bridge et ça, ça demande du temps.
— Ah, les hommes!
Ils sont jamais contents. Ils nous prennent pour leur servante et ils
voudraient nous voir les servir du matin au soir. A les entendre, quand on est
ailleurs que dans la cuisine, on perd notre temps.
Carole sortit de
sa chambre à coucher au moment où les choses allaient s'envenimer entre le mari
et la femme.
— Tiens, si c'est
pas la belle Carole! s'exclama Rosaire Nadeau, apparemment heureux de la
diversion. Qu'est-ce
que t'as fait de
ton chum en plein dimanche après-midi? Dis-moi pas qu'il te néglige déjà? —
Laisse-la donc parler, reprit Colombe, l'air méprisant.
Tu fais bien de
faire l'indépendante, ma fille. C'est comme ça qu'on se fait respecter par les
hommes. Te laisse pas mener par le bout du nez.
— C'est ce que je
passe mon temps à lui dire, intervint Laurette.
— Je fais pas
l'indépendante, dit Carole qui se sentit obligée de défendre son amoureux.
André est allé conduire son frère et sa femme à Contrecoeur chez de la parenté.
Il doit revenir dans le courant de la journée.
— J'aurais bien
aimé aller passer la fin de semaine à notre chalet de Saint-Sauveur, dit
Colombe hors de propos, mais Rosaire a été pris au garage jusqu'à dix heures
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hier soir, et ce
matin, il avait encore trop de travail pour monter dans le Nord.
— C'est de valeur
d'avoir un si beau chalet et de pas pouvoir s'en servir, lui fit remarquer
Laurette.
Deux ans
auparavant, les Nadeau avaient invité les Morin à venir passer une fin de
semaine dans leur chalet
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