La fuite du temps

voir.
     
    — Gilles! cria
Pierre Crevier. Ton père et ta mère viennent d'arriver.
     
    Laurette et
Gérard ne remarquèrent qu'à ce moment-là la tente dressée près de deux cents
pieds plus loin, sous d'énormes pins. Gilles accourut à la rencontre des
visiteurs en tenant une feuille de plastique sur sa tête.
     
    — Je vous ai pas
entendus arriver, s'excusa-t-il. Avez-
    vous fait un beau
voyage? — Pas trop mal, affirma son père.
     
    — Oui, mais c'est
loin en sacrifice, se sentit obligée
    d'ajouter
Laurette.
     
    20I — On va aller
se mettre au sec, dit Pierre en entraînant tout le monde vers un abri de
fortune en plastique sous lequel avait été placée une table à pique-nique.
     
    Un petit poêle à
naphte Coleman et des couverts avaient été déposés sur la table. De plus, deux
boîtes de nourriture et quelques jouets occupaient une partie de la tente
improvisée.
     
    — Tant qu'il
vente pas trop fort, on peut rester en dessous sans se faire mouiller, précisa
Pierre en faisant signe à ses beaux-parents de s'asseoir. C'est moins étouffant
que de rester dans la tente.
     
    — Cette pluie-là
durera pas, ajouta Denise. On a vidé la tente orange pour vous autres à matin.
C'est là que vous allez pouvoir vous installer.
     
    — Qu'est-ce que
vous avez fait des affaires qu'il y avait là? lui demanda son père.
     
    — On les a mis
dans la valise du char.
     
    — Je trouve qu'on
vous donne ben du trouble, reprit Laurette en regardant autour d'elle.
     
    Il était évident
que Pierre avait abattu plusieurs arbres qui n'avaient pas encore été
essouchés. Un peu à l'écart, il y avait un tas impressionnant de branches
placées à côté de billes de bois. La trouée que le jeune propriétaire était
parvenu à faire permettait d'admirer les eaux grises du lac Blanc en cette
journée de pluie.
     
    — Je vous le dis,
m'man, c'est ben beau quand il fait soleil, sentit le besoin de lui préciser sa
fille qui avait suivi son regard. On voit les montagnes autour. C'est
tranquille sans bon sens. Le plus beau temps, c'est le soir, quand le soleil se
couche. Il y a rien qui vaut ça.
     
    Denise avait
l'air tellement convaincue d'avoir découvert un véritable petit paradis que sa
mère n'osa pas formuler la moindre critique. Cependant, elle se leva.
     
    — Dis-moi où sont
les toilettes, fit-elle à sa fille.
     
    202
    — Attendez une
minute, m'man. J'ai un vieux poncho que je vais vous passer. Je vais aller vous
montrer la place.
     
    — Est-ce que
c'est si loin que ça? demanda Laurette, tout de même un peu inquiète.
     
    — Ben non, m'man.
Juste à une centaine de pieds.
     
    Sa mère tourna la
tête dans toutes les directions sans rien voir qui ressemble à un édicule
pouvant offrir des toilettes sèches. Denise revint et lui tendit un carré de
plastique vert muni d'un capuchon.
     
    — Venez, m'man.
     
    — Moi aussi, j'ai
envie, dit Denis en se levant.
     
    — Attends qu'on
soit revenues. Pierre, occupe-toi du petit pendant que je montre les toilettes
à ma mère, ajoutât-
    elle en se
tournant vers son mari.
     
    Denise entraîna
sa mère vers les arbres.
     
    — Faites
attention de pas vous tordre une cheville, m'man, prit-elle la précaution de
lui dire en marchant devant elle.
     
    L'une derrière
l'autre, les deux femmes pénétrèrent sous le couvert. Laurette regardait
attentivement où elle posait les pieds. Elle trouvait les lieux d'aisance un
peu éloignés, mais ils présentaient tout de même l'avantage d'être presque
entièrement à l'abri de la pluie. Soudain, elle se retrouva aux côtés de Denise
qui lui indiquait du doigt un trou creusé dans le sol entre deux souches.
Pierre avait attaché à ces dernières deux branches épaisses en laissant un jour
important entre elles. Il s'agissait évidemment d'un siège rudimentaire.
     
    — C'est ici,
m'man.
     
    — Verrat, dis-moi
pas que vous faites vos besoins à l'air libre, devant tout le monde! s'exclama
sa mère.
     
    — Il y a
personne, m'man. Vous êtes en plein bois, juste à la limite de notre lot.
Pierre a installé les toilettes ici pour qu'on les sente pas.
     
    203
    — Ah ben, j'aurai
tout vu!
     
    — Regardez,
m'man. Vous avez juste à suivre le sentier devant. A force de passer, on s'est
fait un chemin. Quand vous aurez fini, vous aurez juste à revenir par là.
Tenez.
     
    Vlà du papier de
toilette, ajouta-t-elle en tendant à sa mère un rouleau de papier hygiénique
qu'elle avait tenu