La fuite du temps

qui lui avaient fait une escorte improvisée durant plusieurs minutes
eurent tous passé, il se remit doucement en route.
     
    Bref, il fallut
presque deux heures et demie pour que Gérard quitte la grande route et s'engage
sur le petit chemin recouvert de gravier qui s'ouvrait un peu avant l'église de
Notre-Dame-de-la-Merci.
     
    — Grand-père,
j'ai envie! dit Denis d'une voix pressante.
     
    Son grand-père et
sa grand-mère avaient été si captivés par les dangers de la route qu'ils
n'avaient pas remarqué que l'enfant était réveillé depuis un bon moment.
     
    — Tu peux pas
attendre d'être rendu? lui demanda Gérard.
     
    — Non. J'ai trop
envie.
     
    — Je pense que
t'es mieux de t'arrêter sur le bord du chemin si tu veux pas qu'il fasse des
dégâts, lui conseilla sa femme.
     
    Au moment où
Gérard immobilisait la Chevrolet sur le bord de la route étroite, les premières
gouttes de pluie vinrent frapper le pare-brise.
     
    — Ah ben, maudit!
Vlà qu'il mouille, à cette heure!
     
    s'exclama
Laurette en s'extirpant de l'automobile. On va avoir du fun encore.
     
    — Regarde pas,
grand-mère! exigea Denis en lui tournant le dos.
     
    — Ben non, mon
coeur, grand-mère te regarde pas.
     
    Un moment plus
tard, elle reprit place dans le véhicule après que l'enfant eut regagné la
banquette arrière. Gérard démarra lentement, soulevant un petit nuage de
poussière.
     
    — D'après toi, est-ce
qu'on est sur le bon chemin? demanda le grand-père à Denis.
     
    199
     
    Ce dernier se
leva en se retenant au dossier du siège avant et regarda le plus sérieusement
du monde autour de lui avant de déclarer: — Je pense que oui, grand-père. C'est
tout droit.
     
    Partout où le
regard portait, ce n'était que sapins et épinettes. La route en terre étroite
et tortueuse plongeait au coeur d'une forêt dense. Après plus d'un quart
d'heure de route, Laurette ne put s'empêcher de dire: — Bonyeu! Ça a quasiment
pas d'allure. C'est au bout du monde! Je pense que j'ai pas vu plus que cinq ou
six chalets depuis qu'on a pris cette route-là. Il y a juste des arbres. Je
serais même pas surprise qu'il y ait encore des sauvages dans ces bois-là,
ajouta-t-elle, avec une pointe d'inquiétude dans la voix.
     
    — Arrête donc
d'exagérer, lui ordonna Gérard, pas trop rassuré lui-même.
     
    — Il y a pas de
sauvages dans ces bois-là, intervint le gamin, toujours debout à l'arrière.
Mais mon père dit qu'il y a des ours et des loups en masse, par exemple.
     
    — P'tit verrat!
s'exclama sa grand-mère. On dirait qu'il fait exprès pour me faire peur.
     
    — Tiens, il y a
une pancarte là, annonça Gérard en immobilisant la Chevrolet au milieu du
chemin.
     
    — Si tu partais
te swipers, tu penses pas qu'on pourrait voir mieux? fit Laurette eh lui
montrant le pare-brise couvert de gouttes de pluie.
     
    Son mari mit en
action les essuie-glaces juste au bon moment parce que la pluie intermittente
des dernières minutes céda la place à une forte averse.
     
    — Lac Blanc! dit
Laurette. À droite.
     
    La Chevrolet se
remit en route, les passagers sérieusement secoués par les ornières d'un chemin
mal entretenu.
     
    Aux aguets,
Laurette et Gérard regardaient de chaque côté, à l'affût d'un signe de vie.
     
    200
    — Ça a pas
d'allure! s'exclama le conducteur. On a dû faire au moins douze milles dans la
gravelle depuis qu'on a lâché la grande route.
     
    — On est presque
arrivés, grand-père, dit Denis, toujours debout derrière lui.
     
    — Qu'est-ce qui
te fait dire ça? lui demanda sa grand-
    mère en tournant
la tête vers lui.
     
    — On vient de
passer à côté du chalet blanc. C'est là que p'pa vient acheter ses vers quand
il va à la pêche. Je suis venu avec lui.
     
    Gérard roula
quelques centaines de pieds plus loin quand, à travers le va-et-vient des
essuie-glaces, il aperçut la Malibu de son gendre stationnée dans une trouée,
sur un terrain. Deux tentes, une orangée et une verte, étaient plantées tout
près du véhicule.
     
    — On est arrivés!
s'écria Denis.
     
    Le conducteur
ralentit, tourna prudemment et engagea sa Chevrolet sur le terrain avant de
venir l'immobiliser aux côtés de la Malibu. Immédiatement, Denise et Pierre
sortirent de la tente verte et vinrent à leur rencontre, vêtus d'un
imperméable.
     
    — Je vous dis que
vous êtes pas chanceux, déclara Denise. Il a fallu qu'il se mette à mouiller au
moment où vous venez nous