Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
La gigue du pendu

La gigue du pendu

Titel: La gigue du pendu Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Ann Featherstone
Vom Netzwerk:
Mais l’odeur des pavés, aussi puissante que des sels, m’a ramené à ces nuits où je me cachais pour échapper à mon ivrogne de père, où ma pauvre mère disait en frottant son visage tuméfié qu’il était « déchaîné ». Alors, je guettais son pas lourd, la volée de jurons et de coups qu’il assenait aux portes et aux têtes, je me faisais tout petit dans un recoin et je retenais mon souffle. Mais j’avais beau être silencieux, invisible, il me trouvait toujours. Alors une main ferme m’attrapait, ses bottes infernales pilonnaient mon refuge, et je reculais telle une souris dans son trou, jusqu’à ce que les genoux me rentrent dans la poitrine et que je ne puisse plus respirer. Il attendait que la panique m’envahisse. Alors seulement je lâchais prise, me laissais extirper de ma cachette, et ses bottes étaient la dernière chose que je voyais avant qu’une pluie de coups ne me noie dans la souffrance.
    Aussi, quand j’ai vu ces bottes devant moi, j’ai sursauté, mais je savais que ce n’était pas celles de mon père. Elles étaient poussiéreuses, déformées, mais au lieu de violence et d’insultes, ont suivi un murmure et une main réconfortante sur mon épaule – j’ai prié pour que cette main ne bouge pas d’un pouce, car remuer l’épaule provoquait en moi une décharge de douleur, qui fusait dans mon cou et jusque dans mon crâne, me coupant la respiration. Mais l’inconnu est reparti, ce dont je me suis félicité, car j’ai pu sombrer à nouveau dans les ténèbres suintantes qui m’environnaient. Puis il y a eu un martèlement sur les pavés, comme une armée défilant à mes oreilles, la lumière a disparu et je crois que j’ai perdu les pédales, car je me suis mis à m’agiter, jusqu’à ce que j’entende la voix de Will, émergeant au loin.
    « Par saint Georges, Bob, mon vieux, mais qu’est-ce que tu fais là ? Regarde-toi donc. Dieu du ciel, qu’est-il arrivé à ce pauvre diable ? Enfin, je t’ai déjà dit de me laisser m’occuper de ces jean-foutre, espèce de cornichon ! Allons, tes deux compagnons sont venus voir ce que tu devenais… »
    En effet, Brutus et Néron poussaient du museau mes mains endolories avec la plus grande douceur. J’avais beau être plus heureux de les retrouver que de voir le soleil se lever, je craignais aussi pour eux, étant donné les menaces proférées par ce gredin, et tandis que Will m’aidait à me remettre sur mes pieds, je veillais à ce que mes chiens restent auprès de moi. À aucun moment ils ne se sont éloignés, et Brutus, avec une dévotion qui m’a presque tiré des larmes, tour à tour me léchait la main et soufflait dessus pour me rassurer et me faire comprendre qu’il était là pour me protéger.
    Bien que Mr Climmber ne soit pas sorti de sa boutique obscure, porte fermée, au bout du passage un attroupement s’était formé, et j’ai été accueilli par des oh ! et des ah !, des paroles consolatrices, mais aussi des quolibets.
    « Faut rajouter un peu plus d’eau, la prochaine fois, mon vieux ! a crié un marchand ambulant.
    — Ouais, mais pas de l’eau-de-vie, a renchéri un autre, il serait mort avant le matin ! », et autres piques plus cinglantes encore.
    Néanmoins, la plupart étaient remplis de compassion et se lamentaient sur la violence des rues, et le fait qu’un « honnête homme ne puisse aller chercher du lait de nos jours sans se faire détrousser ».
    Mr Abrahams a hélé un fiacre pour me reconduire chez moi et sur sa lancée a appelé des policiers pour qu’ils se mettent à la recherche des voyous qui avaient agressé un employé de valeur. Will a dû m’aider à me hisser dans la voiture, puis il a insisté pour me raccompagner.
    C’est étrange comme les impressions défilent dans les moments de douleur et de désarroi. Agrippé au cadre de la fenêtre, essayant de faire refluer la souffrance extrême que décuplaient en moi les cahots des pavés, je voyais défiler la scène de la rue comme au ralenti : Mr Abrahams sur le trottoir, sourcils froncés, secouant la tête, Pikemartin à la porte de l’Aquarium, immobile et blême comme une statue, Barney sur les marches, se frottant les yeux. Et Mrs Gifford, tout en noir comme une veuve, se faufilant à l’angle, m’apercevant à la fenêtre du fiacre, qui s’est arrêtée net.
    *
    Mon logement – où je n’invite jamais personne – se trouve sur Portland Road, rue bordée de tranquilles maisons

Weitere Kostenlose Bücher