La gigue du pendu
plusieurs minutes devant le tableau le plus épouvantable, où un homme égorge sa femme après avoir fait éclater la tête de son bébé contre la cheminée de pierre. Et même si les figures de cire malhabiles ne ressemblent ni aux vivants ni aux morts – un changement de costume transformera la semaine prochaine l’impératrice de Russie en Guillaume Tell ou Jack-talons-à-ressorts –, les gens se repaissent des scènes de meurtre où le sang coule à flots, aussi longtemps que le baratineur le veut bien. Et une fois dehors, ils reviennent fissa payer leur penny pour tout revoir à nouveau !
Ce jour-là, celui qui faisait l’article pour l’édification du public était un jeune homme grêle, une grande algue molle.
« Ici, a-t-il commencé d’un ton monotone, vous allez voir les pierres en-dessous desquelles la pauv’ Mrs Vowles a été enterrée. On les a enlevées de la maison pour les ramener ici avec encore le sang qu’a coulé dessus. »
Une vague d’intérêt s’est déployée, car le « meurtre de Deptford », de fraîche date, avait connu une terrible notoriété, et tout un parterre de jeunes garçons a rappliqué en se traînant pour mieux voir, et il fallait même les empêcher de venir tremper leurs doigts dans le sang.
« Et là, c’est le mur en plâtre où que Mr Vowles, une fois qu’il était bigrement en rogne, il a écrabouillé la tête à son beau bébé, même qu’y avait des bouts de cervelle partout. Vous pouvez voir les traces où que ça a coulé sur le mur. »
Il y avait bien une tache répugnante sur le plâtre, où l’on voyait aussi, arraché à un magazine illustré, un chien quémandant un os, et deux billets pour une sorte de guinguette lointaine, « orchestre compris, piste de danse en supplément ».
Le tableau de statues suivant – comportant une scène tirée de Hamlet où le père du prince apparaît sous forme de fantôme (une silhouette très pâle surmontée d’un grand chapeau, tournée vers le ciel en gesticulant), ainsi que l’assassinat des pauvres petits princes dans la Tour de Londres (« Regardez le vieux, là, qui les taille en pièces ! s’est écrié un garçon. J’aimerais bien savoir où qu’il habite ! ») – ne constituait qu’une partie du spectacle. Dans un autre coin se trouvait un poisson qui parle, qu’on a sorti d’un bocal étroit et noir pour lui faire souffler une bougie et compter jusqu’à cinq d’une voix qui toussotait bizarrement. En guise de remerciement, on l’a rebalancé dans son aquarium, avant que quiconque ait pu lui manifester un peu d’intérêt. Dans le dernier recoin sombre étaient disposés des épées et des poignards anciens (l’étiquette disait : « I NSTRUMANTS DE TROTURE D’ I TALI », tous attachés avec soin). Ensuite, on nous a poussés dans un couloir, qui d’un côté retournait vers la rue, et de l’autre menait vers l’arrière du bâtiment, où un type basané, sanglé par un gros ceinturon dans un uniforme trop petit de plusieurs tailles, a déclaré : « Par ici ! Ça va commencer ! »
C’est donc là qu’il se cachait ! Le malotru qui avait usurpé mon nom, bien installé dans ce lieu misérable, prêt à faire son numéro. J’ai donné un autre penny et suivi un nouveau couloir crasseux jusqu’à la salle. L’endroit avait manifestement servi de remise au précédent magasin, car il en subsistait des traces – une cheminée, un placard (sans portes), des vestiges d’images affichées aux murs, et des becs de gaz (sans leur chapeau) qui servaient à éclairer la scène, haute d’environ soixante centimètres et fermée par des rideaux dépareillés. Avec la chaleur des becs de gaz, les spectateurs trop nombreux (on étaient serrés comme des sardines dans leur boîte, et tout le monde était debout), les haleines empestant diverses boissons, c’était un véritable enfer.
J’étais coincé contre un ramoneur au visage austère, les mains dans les poches – s’il en avait, car je ne les ai pas vues une seule fois –, qui pendant toute la durée du spectacle n’a ni bougé ni pipé mot. C’était une exception, car le reste du public était dans un état d’excitation furieuse, qui se manifestait par moments sous forme de cris ou d’éclats de rire. Les garçons se montraient particulièrement responsables, qui semblaient mettre un point d’honneur à sauter à la moindre occasion sur le dos de leur plus proche voisin, en hurlant à
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