La Gloire Et Les Périls
vigilance des censeurs, des informations dommageables à nos armes
pouvaient être glissées à mots couverts ou convenus dans les lettres les plus
anodines.
La Dieu merci, tous les ponts n’étaient pas encore coupés
entre La Rochelle et nous, et une semaine après l’envoi de sa lettre, Nicolas
reçut la réponse de Mademoiselle de Foliange, laquelle, admettant implicitement
le renversement des rôles, acceptait sa demande en mariage avec grâce. Je la
portai incontinent au cardinal afin qu’il baillât un sauf-conduit à la belle.
Il y jeta de prime un œil distrait et ennuyé, et il me dit, mi-figue mi-raisin
(expression qui lui convenait à merveille car, avec ses fidèles serviteurs, il
allait rarement plus loin que le raisin dans l’acidité) :
— Monsieur d’Orbieu, dit-il avec un soupir, dois-je aussi m’occuper de cela ?
— C’est que, Monsieur le Cardinal, la demoiselle est
une cousine de la duchesse de Rohan et, qui plus est, elle est catholique.
Va-t-elle mourir pour une foi qu’elle ne confesse pas ?
De ces deux arguments, le second me paraissait plus fort que
le premier, mais Richelieu, tout cardinal qu’il fut, en jugea autrement.
— Si elle est apparentée à la duchesse de Rohan, et si
celle-ci est consentante à son départ hors les murs de La Rochelle, alors
l’affaire, Monsieur d’Orbieu, est politique, et je ne peux que je ne demande
son avis au roi qui considère la duchesse comme sa cousine et la traite avec
les ménagements que vous savez, songeant déjà à l’après-guerre. Il vaut donc
mieux que le sauf-conduit soit baillé par Sa Majesté que par moi. Il aura plus
de poids. Une copie de la lettre de Mademoiselle de Foliange partira pour Paris
demain avec mes commentaires.
Or, Louis connaissait bien Nicolas pour l’avoir vu à mes
côtés quand j’assistais à son lever au Louvre. Et si le lecteur me permet de
lui en faire la confidence sans rien mâcher, il l’avait à chaque fois envisagé
avec beaucoup de faveur, Nicolas ayant tant à se glorifier dans la chair. Que
je le dise encore, pour ceux qui n’ont pas lu l’entièreté de ces Mémoires,
Louis n’aimait guère les femmes, ayant eu une mère désaimante et rabaissante
et, plus tard, une épouse qui alla jusqu’à comploter sa mort pour marier son
beau-frère. Mais si Louis n’eut pas de maîtresse, il n’eut pas non plus de
mignon, au sens qu’à la Cour on donne sans vergogne à ce mot.
Outre le plaisir que la beauté de Nicolas lui donnait, Sa
Majesté avait d’autres raisons de lui témoigner sa faveur : Nicolas était
mon écuyer et aussi le frère puîné d’un autre fidèle serviteur de son sceptre,
Monsieur de Clérac, capitaine aux mousquetaires du roi. Et enfin, il avait,
comme on a vu, ses raisons pour témoigner une particulière mansuétude à la
duchesse de Rohan. Il fit donc plus, beaucoup plus, que bailler à Mademoiselle
de Foliange un sauf-conduit qui lui ouvrît le camp royal. Noulant que Nicolas
fit figure de parent pauvre au côté d’une riche héritière, il le nomma
chevalier et lui accorda une gratification de dix mille livres. Il décida enfin
que le mariage se ferait à son retour à La Rochelle, à ses frais, et avec
pompe, dans la belle église romane de Surgères.
Cette dernière précision qui reculait leur mariage de six
semaines eût désespéré les amants, si le sauf-conduit n’avait pas été valable
dès le jour où il avait été délivré. Cependant, Mademoiselle de Foliange, fort
anxieuse de quitter La Rochelle, nous demanda, par une nouvelle lettre, où on
fallait loger avant que la messe de mariage fît d’elle l’épouse du chevalier de
Clérac. Je fus donc amené par là à découvrir toute l’affaire à Madame Bazimont,
lors de la tisane du soir.
L’histoire était déjà assez romanesque de soi sans que j’y ajoutasse
du pathétique et je la lui contai le plus simplement que je pus. Mais rien n’y
fit. Mon récit à peine achevé, Madame de Bazimont fondit en larmes, se
ramentevant sans doute et le jour heureux de son propre mariage, et la mort de
son mari bien-aimé.
Par bonheur, cette ondée dura peu. Dès que les pleurs
tarirent, Madame de Bazimont confessa qu’elle était fort heureuse du bonheur de
Nicolas qui tant lui ramentevait « son pauvre mari » (mais je suppose
que tous les hommes lui rappelaient Monsieur de Bazimont) et elle me demanda la
permission de s’absenter quelques instants afin de se refaire un visage,
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