La Gloire Et Les Périls
Bazimont portait à
« ses gentilshommes », auxquels elle venait d’ajouter, sans coup
férir, un beau capitaine aux mousquetaires du roi. Mais Nicolas avait
présentement bien d’autres pensées et se donnait le plus grand mal pour voir
Mademoiselle de Foliange sans trop la regarder : exercice où excelle le gentil
sesso dès l’enfance, mais où le sexe dit fort montre bien des faiblesses.
Là-dessus, Luc, qui depuis que Monsieur de Vignevieille
était reparti pour Nantes avec sa maîtresse jouait quand et quand le rôle de maggiordomo, nous vint dire que Monsieur de Guron demandait l’entrant, devant porter un
message de bienvenue à Mademoiselle de Foliange de la part du cardinal.
Comme le lecteur se ramentoit, Monsieur de Guron était un
des serviteurs fidèles de Richelieu, et c’est à lui que le roi, à son départir
pour Paris, avait confié toute la peine qui le doulait à quitter Monsieur le
Cardinal.
Ce gentilhomme était grand et gros avec une forte bedondaine
et montait, on s’en ramentoit, une grosse jument maritorne qui, pour le citer
« n’avait pas assez d’esprit pour maligner ». De l’esprit, en
revanche, Monsieur de Guron en avait à revendre et du plus affilé. Il n’était
pas non plus sans usage ni manières, car il fit à Mademoiselle de Foliange,
avec une sorte de lourde agilité, un très beau salut, un autre à Madame de
Bazimont, mesuré à l’aune de son rang. Après quoi, il tendit à notre belle une
lettre-missive de Richelieu, laquelle, à la lire, la fit rougir de bonheur et
de confusion.
Il va sans dire que j’eusse trouvé fort désaimable de ne
point inviter aussi à dîner Monsieur de Guron, après qu’il eut fait cette
longue trotte de Pont de Pierre à Saint-Jean-des-Sables. Il accepta, si je puis
dire, rondement, cette offre, étant connu – chose étrange, Louis en était
aussi – comme un des « goinfres » de la Cour. Cependant, le
dîner à peine servi, il provoqua une consternation générale en disant à
Mademoiselle de Foliange, non sans quelque gravité :
— Madame, Monsieur le Cardinal ayant consulté son
médecin à votre sujet et sachant quelle longue famine vous avez subie, il vous
conseille de manger très succinctement, au moins pendant huit jours, et pas du
tout à votre faim, laquelle, si vous la deviez satisfaire tout à plein ce jour
d’hui, pourrait abréger vos jours.
Là-dessus, Mademoiselle de Foliange pâlit et eut peine à
retenir ses pleurs, tant elle était déçue de ne se pouvoir repaître à sa
suffisance après ces mois de ration congrue. Quant à nous, nous comprimes
combien il serait malséant de faire ripaille tandis qu’elle mangeait comme
moine en carême. Nous prîmes alors, sans nous consulter le moindre, la décision
de prendre très peu de chaque plat, afin de l’accompagner et la soutenir en la
sacrificielle sobriété que son état imposait.
J’observai qu’elle mâchait chaque bouchée très longuement
afin d’en extraire à fond le suc et la saveur et aussi, sans doute, pour que
son court bonheur durât un peu plus. À la fin du repas qui se passa sans
qu’elle prononçât un seul mot, un peu de couleur revint à ses joues. Elle me
mercia d’une voix faible, quit de Madame de Bazimont, qui, debout derrière sa
chaise, veillait sur elle maternellement, de l’accompagner en sa chambre.
Cependant, au sortir de table, elle demanda une petite tranche de pain afin,
dit-elle, de la grignoter par parties pendant la nuit si son gaster la doulait
trop. Et l’ayant obtenue, elle caressa en passant du dos de la main la joue de
Nicolas mais sans piper mot. Nous nous mîmes tous les quatre sur pied et elle
eût dû, se peut, nous faire une révérence, et si elle ne le fit pas, c’est sans
doute qu’elle craignait, ce faisant, de perdre l’équilibre, car à peine debout,
elle prit le bras de Madame de Bazimont et le serra contre elle pour assurer sa
marche.
*
* *
Après le département de Mademoiselle de Foliange, nous ne fîmes
pas une longue veillée, Monsieur de Clérac voulant rejoindre au plus tôt ses
mousquetaires et Monsieur de Guron, étant gros dormeur, son lit : tant est
que Nicolas et moi, nous nous retirâmes plus tôt qu’à l’ordinaire,
« chacun dans sa chacunière », comme avait si bien dit Clérac à la
foule de nos suiveurs.
Perrette m’aida à me déshabiller et comme, nu en ma
natureté, je me lavais le visage et les mains en ma cuvette, on toqua à mon
huis.
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