La Gloire Et Les Périls
seul et dans la bonne direction supposait une allure lente,
tâtonnante et périlleuse. Assurément, une boussole eût été fort utile pour se
tenir dans la bonne direction face aux murailles et tout autant, reconnaissance
faite, pour retracer nos pas jusqu’aux tranchées. Mais outre que notre chemin
était sinueux puisqu’il contournait les marais salants, lesquels n’étaient pas
régulièrement quadrillés, pour consulter ladite boussole, il eût fallu battre
le briquet, et même en se protégeant alors d’un pli de son manteau, la lueur,
si brève qu’elle fût, ne pouvait faillir d’attirer l’attention des guetteurs
rochelais. C’eût été la fin de la mission. L’éveil donné, on pouvait s’attendre
soit à une mousquetade balayant au hasard le terrain, soit à une sortie de
l’ennemi pour nous capturer.
Bartolocci s’était fait fort de démêler les sentiers par
nuit noire et de nous conduire jusqu’au pied des murailles adverses. Je devrais
donc le suivre, mais comment le suivre sans le voir ? Ne pourrait-il pas
me distancer en plein milieu de ce dédale et revenir ensuite dans nos lignes en
disant que je m’étais perdu ? Et pouvais-je avoir fiance en ce coquart,
alors qu’ayant allègrement accepté de guider nos pétardiers jusqu’à la porte
Maubec, il s’était montré ensuite si rebelute à effectuer avec moi une simple
reconnaissance ?
Le cardinal avait dit qu’il avait autant de fiance en
Bartolocci qu’en un serpent venimeux. Et pour ma part, je doutais fort que le
saulnier eût le pouvoir, ou même le vouloir, de nous conduire jusqu’au point le
plus faible des murailles huguenotes. Et le soupçon me vint quand et quand, que
dans son bargoin avec le cardinal il tâchait d’obtenir la grazia e il
salvacondotto [50] sans
nous donner rien en échange que de creuses promesses.
Plus je considérais en mon for les difficultés de cette
reconnaissance sur le terrain, et plus je me persuadais que le véritable péril
que j’y pouvais courir ne serait point tant le fait des huguenots que de
Bartolocci lui-même. Je résolus donc de prendre, à l’égard du ribaud, au moment
de notre partement dans les marécages, toutes les précautions qui me
paraîtraient opportunes.
Cette résolution, et les mesures que j’envisageai avec
Hörner et dont on verra plus loin les moyens et les effets, me remirent en mon
assiette, tant est que je ne sentais plus en moi que l’impatience de l’action,
car de longs jours encore me séparaient de cette échéance puisqu’il fallait
attendre pour notre expédition la nouvelle lune, laquelle est si nouvelle, en
effet, qu’on ne la voit pas du tout, tant est que si, par aventure, un épais
plafond de nuages dissimulait en même temps le troupeau des nuiteuses étoiles,
on ne pourrait voir au bout de son bras. Nicolas eût fort désiré m’accompagner
en cette mission et comme je prêtai la sourde oreille à ses suggestions, il
finit, en m’habillant, par le quérir de moi tout à trac.
— Nicolas, dis-je, tu m’accompagneras à cheval jusqu’à
la masure de Bartolocci et, là, tu garderas mon cheval et le tien jusqu’à mon
retour.
— Monsieur le Comte, un des Suisses de Hörner pourrait
garder nos chevaux tout aussi bien que moi !
— T’ai-je ouï ? dis-je sévèrement. Ne serais-tu
plus mon écuyer ? Oserais-tu déléguer tes fonctions à un tiers ?
— Je suis votre écuyer, Monsieur le Comte, et tout
dévoué à vos ordres.
— Mes ordres, tu les as ouïs et ils ne sont pas
révocables.
À cela, Nicolas rougit jusqu’aux sourcils et eut l’air si
vergogné que je noulus appuyer davantage sur la chanterelle.
— Nicolas, repris-je, Bartolocci et moi marcherons dans
cette mission l’un derrière l’autre dans le noir le plus noir : lui
devant, qui sait le chemin, et moi derrière qui ne le connais point. À quoi
servirait-il que tu me suives puisque tu ne le connais pas davantage ? En
additionnant deux ignorances, on ne fait pas un savoir.
— Mais supposons, Monsieur le Comte, que le coquart
vous dague à l’improviste et s’enfuie ?
— Et que pourrais-tu faire alors ? Courir à
l’aveugle après lui ? Tomber dans le marécage et y périr étouffé par la
boue ? La belle jambe que cela me ferait !
— Mais, Monsieur le Comte, ne serez-vous pas
armé ?
— Si fait. Une cotte de mailles sous mon pourpoint.
Dans les poches dudit pourpoint, deux pistolets chargés et une dague à la
ceinture.
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