La Gloire Et Les Périls
agréable à voir, avec lequel il dévorait sa maigre pitance, et surtout
l’allégresse avec laquelle – ayant récité ses prières du soir sans en
omettre une seule – il s’endormait voluptueusement dans le sommeil de
l’innocence.
On se mit enfin en route dans le noir le plus noir, le père
Joseph trouvant ses repères avec une infaillibilité qui tenait du miracle. Le
plus étonnant ne fut pas tant que la masure de Bartolocci fût puante,
branlante, délabrée et sans cheminée, mais qu’il ait pu l’acheter, comme il
nous l’avait affirmé. Mais à vrai dire, je n’attachais pas grande créance à ses
dires, quels qu’ils fussent. Il eut l’air fort effrayé quand il nous vit entrer
tous les cinq, Monsieur de Clérac, Hörner, Nicolas, le père Joseph et
moi – les deux Suisses gardant, à la porte, les chevaux –, et sa
frayeur redoubla quand il vit une corde dans mes mains : il crut qu’on
allait le pendre, mais sans cependant qu’il demandât pourquoi, tant sans doute
il avait eu d’occasions en sa peu méritante vie de mériter le gibet. Cependant,
le père Joseph, venant à son côté et compatissant à son angoisse, le rasséréna
en lui expliquant à quel usage cette corde était destinée. Toutefois,
ajouta-t-il, on l’allait fouiller pour s’assurer qu’il n’avait pas d’arme sur
lui. Vertueusement, Bertolocci se récria :
— Une arme, moi ! Mais je n’ai pas d’arme !
Je le jure sur le Saint Nom de Dieu !
— Ne jure pas ! dit le père Joseph avec rudesse.
Qui jure Dieu commet un péché mortel !
— Alors, dit Bartolocci en se redressant de toute sa
taille, j’affirme sur mon honneur que je n’ai pas d’arme en ma possession.
Seigneur ! m’apensai-je. L’honneur ! L’honneur de
Bartolocci !
— Mais, dis-je, Bartolocci ! Qu’est cela ? Tu
parles meshui un français excellentissime ! Où donc s’est envolé ce
français baragouiné d’italien que tu nous as servi chez le cardinal ?
— C’est que, Monsieur le Comte, quand on parle à un
Grand, il vaut toujours mieux paraître plus sot que l’on n’est. J’ai bien pensé
aussi que Monsieur le Cardinal parlant l’italien, il serait content de l’ouïr
de ma bouche.
— Et comment se fait-il que ton français soit si
bon ?
— En des jours meilleurs, Monsieur le Comte, je fus
élève des jésuites.
— Et le bel élève qu’ils ont fait là ! dit le père
Joseph qui, étant capucin, ne prisait guère les jésuites, les trouvant trop du
monde, trop habiles à capter les héritages et trop enclins à faire commerce de
leur fameuse poudre [54] .
— Un élève des jésuites ! dit Monsieur de Clérac.
Devenu saulnier et même mauvais garçon ! Voilà qui fait qu’on se pose
quelques petites questions…
— Ce serait une trop longue histoire, dit Bartolocci en
baissant la tête avec un air de contrition qui me fit grincer des dents, tant
il était chattemite.
— Nicolas, dis-je, pour couper court, fouille-le !
Nicolas s’approcha alors de Bartolocci avec une certaine
gêne, et comme timidement, lui tâta le dos, la poitrine, les bras et les jambes
jusqu’aux genoux, puis se tournant vers moi, il déclara d’un air assuré qu’en
effet, le saulnier n’avait pas d’arme sur lui. Je sourcillai fort à cette belle
assurance et me tournant vers Hörner, je lui demandai ce qu’il pensait de la
fouille à laquelle Nicolas venait de procéder.
— Sehr schlecht [55] , dit-il avec un roide déprisement.
À quoi le pauvre Nicolas rougit jusqu’aux yeux. Et quant à
moi, ne me sentant pas enclin à l’indulgence, je dis en sourcillant :
— Nicolas, tu n’as pas vraiment fouillé Bartolocci de
la tête aux pieds.
— Monsieur le Comte, je crois bien que si, dit Nicolas.
— Que nenni ! Tu as fouillé Bartolocci comme la
garde du Louvre en 1610 a fouillé Ravaillac, et le lendemain, Henri IV
mourait poignardé. Belle conséquence d’une fouille incomplète !
— Et qu’ai-je donc omis, Monsieur le Comte ? dit
Nicolas d’une voix tremblante.
— Le jarret.
À quoi le pauvre Nicolas rougit jusqu’aux sourcils et s’eût
voulu cacher sous terre, s’il l’avait pu. Néanmoins, réagissant tout de gob
avec quelque vigueur et mettant le genou à terre devant Bartolocci, qui, de son
côté, avait quelque peu blêmi, il s’attaqua aux hautes bottes du saulnier,
lesquelles étaient fort sales, et faites d’un cuir fort épais, tant est que
Nicolas se
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