La Gloire Et Les Périls
de nuit sans essuyer de mousquetade. Et comment
aurais-je pu oublier ce mot-là, puisque c’était le prénom de la reine ?
Ce n’est pas sans un petit pincement au cœur que je saillis
de la tranchée en si mauvaise compagnie, Bartolocci me précédant et moi le
tenant en laisse par la corde que j’avais enroulée à sa taille. La Dieu merci,
l’ayant privé de son cotel, il ne pouvait, en tapinois, trancher la corde à son
avantage. Cependant, dès que nous arrivâmes au point où commençaient les
marais, de force forcée, il ralentit le pas et sentant bien qu’il me fallait
alors le suivre de plus près, afin de tourner à sa suite à dextre et à senestre
dans le dédale des sentiers qui entouraient les marais salants, je m’avisai
d’un nouveau danger que j’allais courir. En me trouvant alors si près de son
dos, il pourrait me décocher à l’improviste une ruade qui, m’atteignant au
ventre, me jetterait à terre et me laisserait à sa merci.
Je tirai alors la corde, comme j’eusse fait des rênes de mon
Accla. Et quand le coquart s’immobilisa, je saisis un des deux pistolets que
j’avais cachés dans mes manches, et collant le canon contre sa nuque, je lui
dis à l’oreille :
— Ramentois, Bartolocci, que tu es homme et non
cheval ! Que si tu deviens cheval et que tu rues, je te ferai, avec ceci,
un petit trou dans la nuque qui t’amènera en enfer plus vite que tu n’y
comptais.
— Mais je n’y compte pas du tout, dit Bartolocci d’un
ton peiné. Je suis bon catholique et je vais à messe tous les dimanches et je
prie Dieu.
— Alors, veille à ce que tes actes s’accordent avec tes
prières. Marche ! Et point de trahison, si tu veux être enterré un jour en
terre chrétienne au lieu de pourrir dans la vase jusqu’à la fin des
temps !
Plus tard, je m’avisai que la pensée terrifiante de ne pas
ressusciter puisqu’il n’aurait pas été enterré en cimetière consacré fut le
petit trébuchet qui, en la circonstance, fit tomber mon renardier saulnier du
bon côté de la fidélité.
Si le lecteur bien s’en ramentoit, il y avait cent cinquante
toises de distance entre la première tranchée et les murailles rochelaises.
Petite promenade pour qui eût vu clair, à condition d’être invisible aux
guetteurs ennemis. Mais pour moi qui cheminais en aveugle dans les ténèbres, la
main accrochée à une corde et sans voir même le dos de l’encordé qui me
précédait, ce fut proprement un avant-goût de la géhenne, car je craignais à
chaque instant de dévier d’un pouce du sentier et de tomber dans la vase dont
je doute fort que mon guide aurait eu la bonté de me tirer.
J’essayai à tout le moins de compter le nombre des tournants
que je prenais à la suite de Bartolocci. Mais je m’aperçus vite que l’extrême
attention que je déployais pour suivre, par mon bout de corde, les évolutions
de mon guide m’empêchait de me ramentevoir la direction – changeante à
chaque fois – des tournants qu’il prenait. Que je le dise en passant, il
émanait de ces marais une senteur fade et nauséeuse que je respirais avec le
dernier dégoût, tant est qu’il me semblait que c’était là l’odeur même de la
mort. Le temps que je passai sur ces sentiers incertains, le cœur étreint par
l’horreur de disparaître dans cette puanteur, me parut véritablement infini.
Tout soudain, devant moi, Bartolocci s’arrêta et l’arrêt fut
si brusque que je butai quelque peu sur lui.
— Pour l’amour du ciel, Monsieur, me souffla-t-il dans
l’oreille, ne me poussez pas ! Je suis au bord du fossé ! Il est
rempli d’eau ou plutôt de vase. Nous ne pouvons pas aller plus avant.
— Voilà qui t’arrangerait trop pour que je le
croie !
Mais Bartolocci avait dû prévoir mon incrédulité car il me
mit dans la main une grosse pierre et me dit dans un souffle :
— Monsieur le Comte, de grâce, jetez doucement cette
pierre et oyez bien le bruit qu’elle fait !
Et en effet, j’ouïs un choc mou suivi, au bout d’un moment,
par un bruit de succion. La pierre s’enfonçait lentement dans la vase.
— Quelle largeur a le fossé ? repris-je, ma bouche
presque collée à son oreille.
— Une toise.
— On peut donc le traverser à l’aide d’une planche.
— Oui, c’est bien ainsi que nous faisions pour
atteindre la muraille.
— Nous ?
— Oui, ceux qui barguignaient des viandes avec les
assiégés.
— Et qu’y a-t-il de l’autre
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