La Gloire Et Les Périls
rien omettre des données
d’un problème, il résuma la situation.
— Premièrement, les pétardiers, guidés par Bartolocci,
devront traverser heureusement le dédale des marais et parvenir au fossé.
Deuxièmement, ils devront traverser le fossé à l’aide de planches qu’ils auront
apportées en plus de leurs pétards. Troisièmement, il leur faudra alors déjouer
les pièges de la galerie avant d’avancer plus outre. Quatrièmement, disposer
leurs pétards pour faire sauter la herse. Cinquièmement, après avoir allumé les
mèches, saillir rapidement de la galerie et repasser de l’autre côté pour se
mettre à l’abri. Sixièmement, après l’explosion, à supposer que la herse ait
été suffisamment endommagée pour livrer passage, ils devront traverser de
nouveau le fossé, la galerie et pétarder la porte de Maubec. Septièmement, ils
auront à se retirer promptement en laissant les planches sur le fossé pour permettre
à nos soldats de donner l’assaut.
Ayant dit, le cardinal ferma les yeux et les ouvrit presque
aussitôt. Il sourit : sourire qui me laissa béant pour la raison qu’il ne
gaussait jamais, et non plus n’aimait guère qu’on gaussât en sa présence.
— Si la porte Maubec, dit-il, est bien, comme le
prétend Bartolocci, il punto le piu debole de la fortificazione [56] , que doivent être les
autres ?
Ce propos me laissa croire que Richelieu, découragé par
toutes les difficultés qu’il venait d’énumérer, allait renoncer à son projet.
C’était bien mal connaître son adamantine ténacité. Le lendemain, il ne laissa
pas de me reparler de l’affaire et de me dire qu’en son opinion, les pétardiers
devraient être précédés par Bartolocci et de deux soldats qui planteraient des
piquets d’une demi-toise chaque fois que l’italien tournerait soit à dextre
soit à senestre. Ces piquets seraient, mutatis mutandis [57] , me dit-il, le fil d’Ariane de ce
labyrinthe pour peu que le premier pétardier à ouvrir la marche tendît ses bras
à l’horizontale dans le noir à la hauteur desdits piquets.
Le père Joseph, qui était présent à cet entretien, fut
chargé de prévenir Bartolocci qu’on l’allait employer à cette tâche à la nouvelle
lune, laquelle, selon le calendrier, nous garantissait une propice obscurité
dans la nuit du onze au douze mars. Et se peut qu’on eut le tort de prévenir si
tôt le coquart car, le neuf mars, il disparut et, sans être pourvu du salvacondotto qui devait lui permettre de saillir du camp, il réussit néanmoins à se glisser
hors de ses mailles et à gagner une cachette qui devait être des plus sûres
car, maugré tous les gens d’armes qu’on dépêcha à sa poursuite de tous les
côtés, on ne le retrouva jamais.
Pour le coup, je crus que Richelieu allait renoncer à son
projet, car il avait dès lors beaucoup moins de chances d’aboutir. Mais il n’en
fut rien. Se peut parce qu’il était désespérément désireux d’en finir avec La
Rochelle pour se porter au plus vite au secours de Casal, se peut aussi parce
que les intempéries du roi devenant de plus en plus fréquentes, il craignait
qu’il se lassât tout à plein du siège et voulût l’abandonner.
À mon sentiment, le dispositif que le cardinal imagina ne
laissait rien à désirer. Il divisa les pétardiers en petits groupes et s’ils
réussissaient à atteindre et à détruire la herse de la porte de Maubec, ils
devaient être soutenus aussitôt par les gardes du cardinal et ensuite par dix
mille hommes laissés en arrière que Richelieu en personne commandait.
Par malheur, les pétardiers s’égarèrent dans le labyrinthe
du sentier, tournèrent sans fin en rond et revinrent piteusement à leur point
de départ. L’aube allait poindre déjà et, la lumière revenue, la partie était
perdue d’avance. L’ordre de la retraite fut donné et ces dix mille hommes
rentrèrent dans leurs quartiers.
Le treize mars, Richelieu fit une nouvelle tentative
nocturne, cette fois contre la porte de Tasdon qu’on disait mal gardée, mais
l’approche de nos soldats fut décelée, les créneaux rochelais se garnirent en
un clin d’œil et une violente mousquetade fit reculer nos troupes.
Le huit avril, toujours dans la nuit, Richelieu fit une
nouvelle tentative, avança des canons à portée des murailles de ce même fort et
les bombarda sans merci, mais sans grand dol ni dommage, nos boulets ne faisant
qu’écorcher les énormes pierres de
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