La Gloire Et Les Périls
côté du fossé ?
— Une galerie longue de vingt-cinq pas fermée au bout
par une herse.
— Et au-delà de la herse ?
— La porte de Maubec.
— Comment franchissiez-vous la herse ?
— Elle est infranchissable. Mais on pouvait passer de
biais des corbeilles à travers les barreaux. Les Rochelais nous lançaient des
cordelettes. Nous y attachions les corbeilles et par ce même chemin passaient
viandes et pécunes.
— Bartolocci, comment se fait-il que tu parles au
passé ?
— Oui, hélas, c’est du passé ! Les huguenots ont
fini par découvrir le bargoin et, dans la galerie, ils ont disposé des pièges à
loup en quinconce. Cinq de mes compagnons ont été pris. Pour moi, grâce à Dieu,
je n’avais pas encore franchi le fossé. Mais j’ai ouï les cris de douleur de
mes compagnons, puis la mousquetade tirée par les huguenots à travers la herse
pour les achever. Je me suis aplati de tout mon long sur l’autre bord du fossé
et je n’ai pas branlé d’un pouce tant qu’il y a eu la moindre noise à
l’alentour. Je tremblais de la tête aux pieds en retraçant mes pas.
— Hormis le tremblement, dis-je, c’est ce que nous
allons faire. Demeurer céans ne servirait de rien.
Le retour me parut plus rapide que l’aller, se peut parce
que je m’étais fait à cette marche à l’aveugle sur les chemins des marais. Se
peut aussi parce que j’étais conforté d’aller vers le connu et la sécurité. La
seule chose qui était encore à craindre était que, malgré les ordres, on nous
tirât sus à partir de la tranchée royale. Dès que je fus assez proche, je
soufflai sotto voce le nom d’Anne d’Autriche et je fus ouï. On
raccompagna Bartolocci à sa bauge et, là, Clérac battant le briquet, et
allumant une chandelle, me vit couvert de boue et s’écria :
— Mon Dieu, Monsieur le Comte ! Comme vous voilà
fait !
Nicolas aussitôt entreprit d’enlever le plus gros de ces
salissures, mais ce n’est qu’une fois revenu à Brézolles et aidé par Perrette
que, m’étant mis à nu en ma natureté, je pus enfin me laver. Mais j’eus beau
respirer de l’eau par le nez et la rejeter pour le nettoyer, et recommencer
deux ou trois fois, je ne pus me débarrasser de cette odeur pestilentielle que
j’avais aspirée en cette sinistre promenade à travers les marais. Dès ce jour,
quand, par aventure, je pensais à l’Enfer, lequel, j’espère, je ne connaîtrai
jamais, je ne le voyais pas, selon qu’on nous le décrit, comme un lieu sinistre
éclairé par des flammes brûlantes, mais comme un grand trou noir rempli de
vase. Et croyez-moi, lecteur, ce pensement est tout aussi terrifiant. Avant que
de départir, je commandai à Bartolocci de demeurer bec cousu avec tous sur ce
que nous avions vu, y compris avec ses confesseurs. Et pour ma part, je ne dis
ni mot ni miette au père Joseph, non plus qu’à Monsieur de Clérac, réservant au
cardinal mes récits.
Toutes portes recloses, il les ouït le lendemain à Pont de
Pierre au bec à bec avec la plus grande attention, et comme je m’excusais de
lui donner tant de détails, il me dit d’une voix pressante :
— Donnez-les tous ! Donnez tous les détails,
Monsieur d’Orbieu, dont vous vous ramentevez ! Car il se peut que celui
qui vous paraît négligeable se révèle, à y penser plus outre, importantissime.
Bien qu’il eût toute fiance en ses secrétaires –
recrutés de longue date avec le plus grand soin – il n’en appela aucun en
son cabinet pour prendre des notes, mais les prit lui-même et parfois d’un
geste parlant de la main, il me priait de ralentir ma parole, afin de jeter sur
le papier une circonstance qui retenait son attention.
Quand j’eus fini, il demeura un assez long moment songeux et
soucieux. Et bien je me ramentois la première question qu’il me posa :
— Pensez-vous, Monsieur d’Orbieu, que vous pourriez,
seul, retrouver votre chemin dans le dédale des marais jusqu’au fossé devant la
herse ?
— Hélas, dis-je, en aucune façon, Monsieur le Cardinal.
Et je lui en dis la raison, que le lecteur connaît déjà.
— Bartolocci nous demeure donc indispensable, dit le
cardinal, et c’est bien là le hic, car il est, d’évidence, le plus fieffé
caïman de la création.
Là-dessus, Richelieu demeura silencieux un assez long
moment, puis, reprenant enfin l’ensemble du problème, à sa façon méthodique et
minutieuse et le souci qui ne le quittait jamais de ne
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