La Gloire Et Les Périls
signal dès lors qu’il est
complet ?
— Plaise à vous de me pardonner, Monsieur le Comte, dit
l’exempt avec son largissime sourire. Mais complet ou incomplet, je ne peux
vous en toucher mot. C’est un secret militaire.
Comme il achevait, une haute colonne de fumée noire s’éleva
à l’horizon, tachant sinistrement le ciel ensoleillé de l’après-dînée.
— Exempt, dis-je, à votre sentiment, d’où monte cette
colonne noire ?
— De l’île de Ré, Monsieur le Comte, plus exactement du
Fort de la Prée, où nous avons des troupes tout au sud. Et les coups de canon,
eux, ont été tirés par les nôtres aussi, tout au nord, à la Pointe du Grouin,
qui donne de bonnes vues sur le pertuis breton.
— Le signal, dis-je avec un sourire, est donc
maintenant complet et, à mon sentiment, il annonce que les voiles d’une flotte,
gonflées par un vent favorable, s’avancent dans le pertuis breton en direction
de La Rochelle.
— Monsieur le Comte, c’est vrai, mais plaise à vous de
vous ramentevoir que je ne vous ai rien dit de tel.
— En effet. J’ai laissé libre cours à mon imagination…
— Monsieur le Comte, poursuivit l’exempt, excité comme
une puce, permettez-moi de prendre congé. Je dois dans la minute même prévenir
le capitaine de Bellec de ce double signal.
— Je vous attends donc céans. Je voudrais, moi aussi,
voir Monsieur de Bellec.
— Monsieur le Comte, dit l’exempt roux avec un large
sourire de sa large bouche, n’est-ce pas émerveillable que ce soit à moi d’annoncer une aussi grande nouvelle à une aussi grande armée ?
— C’est émerveillable, en effet. Vous le conterez en
votre vieil âge à vos petits-enfants. Je vous attends. Mais faites vite,
exempt !
Il n’avait pas besoin de ce conseil. Il enfila la tranchée
en courant, et il fit si vite, en effet, car le temps de réciter un pater et un ave, il était déjà de retour, précédé à grands pas par le noueux
capitaine de Bellec. Je dis noueux, parce que n’ayant pas une once de graisse
sur le visage, le cou et le reste de son corps, il donnait l’impression d’avoir
été fabriqué par le Seigneur avec une série de nœuds marins. Il était
originaire de Cancale, et parlait un étrange baragouin fait de français et de
breton, prononcé, en outre, en ouvrant à peine la bouche, comme s’il eût craint
que la brume marine ne s’y engouffrât.
— Monsieur le Comte, dit-il, me laissant au surplus
émerveillé qu’il réussît à avaler tant de mots en déclosant si peu les lèvres,
les English sont à quelques encablures de la côte. Mon rollet est de
prévenir d’urgence le cardinal à Pont de Pierre, et plaise à vous, dont le
cheval est tout harnaché et rapide comme l’éclair, de courre le dire à Monsieur
le Cardinal, alors que je perdrais grand et précieux temps à faire amener ma
jument céans de l’écurie et à la seller.
— Ce sera du bon du cœur, Monsieur de Bellec, dis-je
aussitôt, et je n’omettrai pas de dire au cardinal que c’est vous qui le
premier avez aperçu le signal. Voudriez-vous faciliter à mon tambour, s’il vous
plaît, le retour à sa compagnie ?
*
* *
Nicolas et moi encontrâmes peu d’encombrement à traverser le
camp jusqu’à Pont de Pierre, preuve que la nouvelle de l’invasion anglaise
n’avait pas encore transpiré. Toutefois, dès que Charpentier m’eut donné
l’entrant chez le cardinal, je vis du premier coup d’œil qu’il la connaissait
déjà, car il était en cuirasse, je ne dirai pas de cap à pied, car justement il
ne portait pas de casque, mais très en arrière sur l’occiput, sa petitime
calotte de pourpre sans doute retenue sur le crâne par de minces cordons cachés
sous les cheveux, lesquels en longueur dépassaient de peu la nuque, genre de
coiffure dite à la Jeanne d’Arc. Les plaques de métal de sa cuirasse
s’arrêtaient, pour le haut, aux coudes, et pour le bas, à mi-cuisses. Richelieu
n’avait pas pour autant renoncé à la robe cardinalice qu’il portait à la fois
dessous et dessus sa cuirasse, sans que j’entendisse, à vue d’œil, la façon de
cet arrangement, sauf pour les jambes, où les plis de la robe étaient
retroussés et attachés par un nœud à la ceinture afin de faciliter la marche,
tant est qu’on voyait son haut-de-chausses (d’ordinaire invisible chez un
ecclésiastique) et de hautes bottes en cuir souple qui couvraient les genoux.
Une épée de guerre,
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