La Gloire Et Les Périls
moment
le siège et ses horreurs ; oubli coupable, assurément, mais que rendit
plus facile le fait que je quittai alors les marais et les vents tracasseux du
camp pour de plus riants rivages.
Dès que je parvins ce matin-là au logis de Richelieu à Pont
de Pierre, Charpentier quasiment me happa, et en un tournemain m’introduisit
chez le cardinal, signe indubitable que Son Éminence avait affaire à moi de la
façon la plus pressante. En effet, à peine l’entrant donné, le cardinal, assis
à son bureau, me dit de ce ton vif et expéditif qu’il affectionnait :
— Monsieur d’Orbieu, de grâce, prenez place.
Et sans attendre même que je fusse assis, il
poursuivit :
— Sa Majesté, Monsieur d’Orbieu, voudrait que demain
vous partiez en mission pour Nantes.
— Pour Nantes ? Monsieur le Cardinal, dis-je,
envahi dans l’instant d’une bouffée de bonheur, mais tâchant de garder une face
imperscrutable. Je suis, assurément, tout dévoué aux ordres de Sa Majesté.
— Monsieur d’Orbieu, poursuivit Richelieu, chassant
d’un geste mon compliment, comme il eût fait d’une mouche importune, avez-vous
ouï parler du baron de La Luthumière ?
— Oui, Monsieur le Cardinal : quelqu’un, au
Louvre, l’a qualifié un jour devant moi de Baron Pirate.
— C’est là une de ces sottes clabauderies dont la Cour
est coutumière, dit Richelieu. La Luthumière n’est en aucune façon un pirate.
Il est gouverneur de Cherbourg, et il a reçu commission du roi par lettre de
marque pour courre sus aux vaisseaux ennemis. Il est donc légitimement reconnu
comme corsaire royal. Tout comme vos frères, Monsieur d’Orbieu.
— Comment ? dis-je béant, mes frères se livrent à
la course ?
— En temps de guerre, ils remplacent leur coutumier
négoce maritime par la course en haute mer. Et ils y sont excellents, mais ne
disposant que de trois flûtes armées, ils ne peuvent faire des prises d’aussi
grande conséquence que le baron de La Luthumière, lequel dispose d’une petite
flotte. J’en viens au fait. Prévenu par nos mouches du départ de l’armada
anglaise pour Plymouth, Monsieur de La Luthumière tira avantage du fait que
ladite armada, très éprouvée par la tempête, naviguait en ordre dispersé pour
attaquer dans la Manche les navires isolés. Le résultat de ces assauts passe
l’imagination : il coula trois vaisseaux anglais, et en captura quatre,
mais ne se sentant pas avec eux tout à fait en sécurité à Cherbourg, il ramena
les vaisseaux à Nantes.
Richelieu se tut et les yeux mi-clos, il posa la main sur le
dos de son chat, puis comme surpris par le désir qu’il avait eu de le caresser,
il la retira aussitôt.
— Monsieur d’Orbieu, reprit-il, pour éclairer votre
mission, je voudrais vous ramentevoir d’aucunes circonstances qu’il se peut que
vous ne connaissiez pas, ou pas assez. Nos bons Anglais qui viennent de quitter
sans tant languir notre côte, pour eux si peu hospitalière (sur ce dernier mot,
l’ombre d’un sourire passa sur son visage maigre, creusé par la fatigue),
devaient dans le projet primitif de Buckingham armer contre nous vingt
vaisseaux – et vous savez sans doute que les vaisseaux, par leur taille,
leur nombreux équipage, et le grand nombre de leurs canons, sont l’ossature
d’une flotte. Or, après avoir dans tous les ports de leur île tout raclé, les
Anglais n’en trouvèrent que quatorze qui fussent en état de naviguer. C’était
quasiment moitié moins que ce que nous avions rassemblé à La Rochelle, soit
vingt-quatre vaisseaux. Et voici que par une émerveillable victoire. La
Luthumière coule trois des vaisseaux anglais et en saisit quatre autres. Après
ces prises, voici donc les plus puissants bâtiments de la flotte anglaise
réduits à sept unités, lesquelles, désormais, doivent affronter nos
vingt-quatre vaisseaux. Mais nous pouvons meshui faire mieux encore. Monsieur
d’Orbieu, voyez-vous pas où je veux en venir ?
— Monsieur le Cardinal, dis-je promptement, la flotte
du roi, si elle pouvait s’enrichir des quatre vaisseaux de Monsieur de La
Luthumière, serait forte de vingt-huit vaisseaux.
— Par malheur, reprit Richelieu, comment le roi
pourrait-il se saisir des quatre vaisseaux anglais de Monsieur de La
Luthumière ? La lettre de marque qui fait de lui un corsaire royal lui
accorde le droit de prise. En principe, comme vous savez, tout est à lui sur le
bateau qu’il a saisi : le bateau,
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