La Gloire Et Les Périls
Nicolas, et la grand
merci, Monsieur le Comte, de m’en avoir instruit.
Cet entretien avec Nicolas fut pendant ce voyage le seul de
quelque longueur que j’eus avec lui, chaque fois qu’à son tour, succédant à son
aîné, il prenait place à mes côtés. Il est vrai que nous avions tous deux de
bonnes occasions de demeurer clos, encore qu’elles fussent inspirées par des
sentiments différents. Nicolas, à chaque cahot de la carrosse, se sentait bien
marri de s’éloigner de Brézolles, tandis que moi, à chaque tour de roue qui me
rapprochait de Nantes, je frémissais de joie dans l’attente du bonheur
qui – je le voulais croire – m’y attendait.
Les Siorac n’étaient point, la Dieu merci, en mer, occupés à
courre sus aux bateaux de charge anglais, mais pour citer Antoinette, la
cabaretière du port, « en leur ben biau et riche hôtel »
jouxtant la cathédrale de Saint-Pierre.
Et tandis que le capitaine Hörner et Monsieur de
Clérac – qui avec ses Suisses, qui avec ses mousquetaires – allaient
quérir, d’ordre du roi, un gîte au gouverneur de Nantes, les « Messieurs
de Siorac », armateurs et corsaires, fort respectés en ces lieux, me
baillèrent, ainsi qu’à Nicolas, après je ne sais combien de fortes brassées,
une fraternelle hospitalité, pour le temps que j’aurais à demeurer en leur
bonne ville.
À peine nous mettions-nous à table pour le souper –
lequel fut fait de poissons succulents et arrosé d’un bon vin de Loire –
que je m’inquiétai du gîte du baron de La Luthumière à qui j’avais affaire
demain, dis-je, sans préciser plus outre.
— Ma fé ! dit Pierre qui jouait fort bien du plat
de la langue, le baron, à’steure, est plus difficile à approcher que le
gouverneur de la province. Il se paonne à l’infini des quatre vaisseaux pris
aux Anglais, et se trouve si occupé à les repeindre en cale sèche qu’il est
inaccostable.
— Ce qui est une bonne chose pour un corsaire, dit
Olivier sans sourire le moindre, sauf des yeux.
— En outre, reprit Pierre, on dit qu’il est pour
décorer de son blason les proues de ses vaisseaux.
— Son blason sur les proues ? dis-je. Est-il
coutumier d’agir ainsi ?
— Pas le moindrement du monde, dit Olivier, et d’autant
que son blason, il vient de l’inventer, car son père, à ma connaissance, n’en
avait point.
— Il faut un commencement à tout, dit Pierre qui était
trop bonhomme et trop prudent pour médire de quiconque. Après tout c’est notre
grand-père Siorac qui, dès lors que le roi le fit baron, dota ses descendants
de ces belles armoiries dont nous faisons ce jour tant de piaffe.
— Je suis bien marri, dis-je, que Monsieur de La
Luthumière soit si haut, car je suis céans d’ordre du roi pour rencontrer.
— Ce ne sera point facile, même avec un ordre du roi,
et alors même que le baron est gouverneur de Cherbourg, dit Olivier, car il a
meshui une flotte de huit navires – quatre à Cherbourg et quatre à
Nantes – et se prend lui-même pour une sorte de roi qui cuide régner en
maître sur la mer océane…
Olivier dit cela en souriant des yeux, mais sans pour autant
paraître se départir de son humeur calme et maîtrisée.
— Il y a pourtant, dit Pierre d’un ton vif, un moyen de
parvenir jusqu’à lui : son épouse.
— Son épouse ? dis-je béant.
— Eh oui ! reprit Pierre en riant à gueule bec, La
Luthumière commande d’une main de fer ses vaisseaux, ses capitaines, leurs
rudes équipages et la ville de Cherbourg. Mais de retour au gîte, il obéit à
son épouse.
— Le proverbe, donc, ne ment pas, dis-je. Ce que femme
veut, Dieu le veut.
— En conséquence, reprit Pierre, mets demain, mon cher
comte, ton plus élégant pourpoint, tes hautes bottes, ton plus majestueux
panache, sans oublier, bien sûr, sur ta noble poitrine, la croix de chevalier du
Saint-Esprit, et présente-toi à la baronne à l’heure à laquelle sa toilette est
finie, c’est-à-dire sur les onze du matin, précédé de ton bel écuyer qui
demandera pour toi l’entrant. Quant à la baronne, après les compliments de
Cour, qu’il ne faudra en aucune façon abréger avec elle, il lui faudra dire
qu’étant conseiller du roi en son Conseil, il t’a dépêché à Nantes pour
encontrer son mari, et lui dire en quelle faveur il est meshui auprès du roi.
— Et pourquoi, dis-je, lui conterais-je cela ?
— Mais, dit Pierre, reprenant le relais de son
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