La Gloire Et Les Périls
l’équipage, les canons, la poudre, et
tous les biens périssables ou permanents qui se trouvent à bord. Cependant, la légitimité
des prises doit être reconnue par la Cour des prises, tribunal royal. Ce
recours, il était de mon devoir de le signaler, parmi d’autres, au roi. Mais Sa
Majesté, bien entendu, a noulu engager une procédure aussi injuste et
injurieuse à l’endroit d’un gentilhomme qui l’avait si bien servi. Cependant,
ces quatre vaisseaux nous sont bien nécessaires, si nous voulons acquérir sur
les Anglais une supériorité telle et si grande qu’ils n’oseraient plus, d’ores
en avant, porter secours à La Rochelle. Voyez-vous, Monsieur d’Orbieu, une
autre façon de les acquérir ?
J’entendis bien alors que le cardinal me posait – comme
Socrate à ses disciples – une question dont il avait déjà la réponse,
l’intérêt de cette maïeutique étant de me passionner pour une mission dont j’aurais,
par moi-même, découvert et senti la nécessité.
— Monsieur le Cardinal, dis-je, pour autant que le
gouvernement de Sa Majesté dispose des pécunes suffisantes, et pour peu que
Monsieur de La Luthumière consente à ce bargoin, il serait tout indiqué qu’on
lui achetât ces vaisseaux.
— Bien dit, Monsieur d’Orbieu. Pour les pécunes, le
roi, qui a déjà fait dégorger trois millions aux évêques de France, pourra sans
doute obtenir d’eux un million de plus.
Que je le confie ici en passant au lecteur, le mot « dégorger »,
appliqué par le cardinal à des évêques, ne laissa pas de m’ébaudir…
— Un million est une grosse somme, poursuivit
Richelieu, mais je vous laisse à déterminer, vous-même, la première offre que
vous ferez à Monsieur de La Luthumière.
Adonc, m’apensai-je, il faudra barguigner ! Et
barguigner avec un corsaire ! Un corsaire qui n’est sûrement pas un
enfantelet dont on coupe le pain en tartine !
— Monsieur le Cardinal, repris-je, il se pourrait que
Monsieur de La Luthumière se paonne si fort de ces quatre vaisseaux anglais,
qui sont, et seront, l’éternelle gloire de sa course, qu’il refuse tout à trac
de s’en séparer. Pourrais-je alors proposer de les louer au roi pour la durée
du siège ?
— Monsieur d’Orbieu, dit Richelieu avec un vif éclat de
son œil perçant, ne seriez-vous pas dans l’instant en train de barguigner avec
moi ?
— Nenni, Monsieur le Cardinal, dis-je avec tout le
respect du monde, c’est seulement que je pense qu’il sera peut-être très
difficile à Monsieur de La Luthumière de vendre ces quatre vaisseaux, mais
qu’il lui sera, en revanche, beaucoup plus facile de les louer, la location
étant, il va sans dire, mon dernier et désespéré recours.
— Je l’accepte en tant que tel, dit aussitôt Richelieu,
mais pour le prix de la location, le roi ne voudra pas dépasser cent mille
livres.
— Monsieur le Cardinal, oserai-je encore vous poser
question ?
— Osez, Monsieur d’Orbieu.
— Monsieur de La Luthumière, tout me porte à le croire,
sera un rude barguigneur. Puis-je lui laisser entendre pour l’adoucir que le
roi, pour le récompenser de ses exploits, envisage de l’avancer dans l’ordre de
la noblesse ?
— Vous le pouvez, mais dites-lui qu’entre la conception
de cet avancement et sa réalisation, il peut se passer plusieurs mois. De
reste, Monsieur d’Orbieu, ajouta le cardinal avec un sourire, n’êtes-vous pas
vous-même un exemple de ce délaiement ?
À cela, qui était à la fois brin de malice et brin de
promesse, je souris aussi, puis je m’inclinai profondément devant le cardinal,
mais il eût fallu me hacher comme chair à saucisse pour prononcer un seul mot
concernant mon avancement personnel.
*
* *
Le quinze juin, par un temps clair, chaud et ensoleillé,
Monsieur de Clérac avec ses quinze mousquetaires, et une charrette pour porter leurs
tentes, moi-même, Nicolas, ma carrosse, mes onze Suisses et leur charrette,
nous départîmes ensemble pour Nantes. Comme toujours, j’alternai pour me
défatiguer le cheval et la carrosse, et comme j’aime la compagnie de mes
semblables, quand j’étais en la carrosse, je quérais tantôt la compagnie de
Monsieur de Clérac, et tantôt celle de Nicolas.
Ce voyage de La Rochelle à Nantes nous prit six jours, et au
fur à mesure que nous nous éloignions de Saint-Jean-des-Sables, l’humeur de mon
pauvre Nicolas devenait sombre et taciturne. Le troisième jour, il
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