La Gloire Et Les Périls
François d’Entragues, vieil et mal allant, fut libéré assez tôt,
mais le comte d’Auvergne, qui savait la guerre, était tenu pour dangereux. Il
demeura en geôle pendant douze ans. Vous avez bien ouï, lecteur, douze
années ! Les illustres étrangers à qui on faisait visiter la forteresse où
il était serré désiraient tous voir, de leurs yeux, « le plus ancien
prisonnier de la Bastille ».
Marie de Médicis le libéra en 1616, parce que tant de grands
se liguaient contre elle que le concours d’un gentilhomme qui avait porté
valeureusement les armes lui parut souhaitable. Et pour une fois, elle ne fut
pas déçue. Quatorze ans de Bastille ayant mis du plomb en les mérangeoises du
comte d’Auvergne, il montra une adamantine fidélité et à la régente, et à son
fils, quand il eut pris le pouvoir. En 1617, Louis lui confia une armée. Peu
après, il le fit duc et pair et quand Buckingham envahit l’île de Ré, il lui
confia, en attendant qu’il se remît de son intempérie pour aller sur place, le
commandement de la forte armée qui devait encercler La Rochelle.
Les instructions de Louis furent précises et le duc
d’Angoulême les appliqua aussitôt. Dès son advenue dans la place, il s’empara
sans coup férir de Coureille, à la pointe sud de la baie de La Rochelle. Mais
comme j’ai déjà parlé, en ce premier chapitre de ces Mémoires, de l’importance
de cette place qui, avec Chef de Baie au nord, nous assurait la possession des
deux pointes de la baie de La Rochelle, je n’y reviendrai que plus loin en ce
récit, au moment où l’on conçut et construisit la fameuse digue dont le monde
entier a parlé.
— Mon cher Chanoine, fis-je remarquer à Fogacer en cet
instant de son récit, si Louis était si content du duc d’Angoulême, pourquoi
envoya-t-il pour commander l’armée de La Rochelle son frère, qu’il aimait et
qu’il estimait si peu ?
— Il y eut, dit Fogacer, deux raisons à cette décision,
l’une apparente, l’autre cachée, mais l’une et l’autre, finement pesées par le
roi et le cardinal. La première fut de donner à Monsieur, le roi étant encore
si mal allant, le commandement qu’il réclamait depuis toujours, ne fut-ce que
pour acquérir quelque lustre et faire oublier à la France et au monde ses
farces, ses facéties et ses pantalonnades.
Derrière cette apparence se cachait un calcul. Un an
auparavant, Monsieur ayant songé, pour faire pièce au roi, à s’allier aux Rohan
et à s’installer à La Rochelle, il allait sans dire qu’en lui confiant le
commandement de l’armée qui assiégeait La Rochelle, on le brouillait à mort à
jamais avec la citadelle huguenote…
— Cornedebœuf ! dis-je, quelle belle
chatonie ! Machiavel n’eût pas fait mieux ! Et à qui attribuez-vous
ce beau coup de moine ? Au roi ou à Richelieu ?
— Point nécessairement à celui auquel vous pensez.
Louis est fort capable de l’avoir, seul, imaginé. Ramentez-vous les méchants
tours qu’il a joués à ses ennemis…
— Mais pour en revenir à notre armée devant La
Rochelle, le duc d’Angoulême n’a pas dû être aux anges d’être subordonné à
Monsieur.
— Pas le moindrement du monde. Tout avait été arrangé
de main de maître. Monsieur eut le titre de lieutenant général des armées et le
duc d’Angoulême conserva le pouvoir.
— Et comment Monsieur se comporta-t-il, lui qui ne
savait pas la guerre ?
— Bien. Trop bien, même. À peine fut-il arrivé que les
Rochelais firent une sortie, et Monsieur se porta en avant avec une folle
intrépidité. Le duc d’Angoulême, le lendemain, l’en blâma à mi-mot, en disant
qu’il s’était montré « trop soldat pour un capitaine ». Et les
officiers du camp qui ne l’aimaient pas, en raison de ses allures et de ses
conduites, s’en gaussèrent entre eux, appelant cette escarmouche « la
drôlerie de Monsieur », comme s’il se fût agi d’une autre de ses farces.
— Mais n’est-ce pas quelque peu injuste ? dis-je.
Si Monsieur s’était tenu éloigné du combat, on n’aurait pas manqué de le
traiter de couard.
— Hélas ! dit Fogacer, c’est là un point
intéressant, mais nous ne pouvons en discuter. Nous voici arrivés. Le logis du
cardinal est là, gardé et bien gardé. Comme je vous l’avais promis, Comte, je
me retire.
Et avant que j’eusse le temps de le mercier derechef, et de
m’avoir guidé et de m’avoir tant appris en si peu de temps, il
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