La Gloire Et Les Périls
loger en sa demeure, ainsi que La
Surie, sans excepter – je la cite en dernier, bien qu’elle ne fut pas la
moindre, Margot – notre petite voleuse de bûches ! Margot, dont mon
père n’avait pas eu le courage de se séparer. Madame de Brézolles avait l’âme
généreuse et entendant bien que la garcelette était, pour le marquis de Siorac,
la consolation de son vieil âge, loin de sourciller à sa présence, elle en fut
à la fois ébaudie et touchée, et bailla à Margot une chambrifime qui jouxtait
la chambre qu’elle donna à mon père. La nuit venue, elle me dit au bec à
bec :
— Mon ami, si vous pouvez m’assurer que dans cinquante
ans d’ici vous ressemblerez à Monsieur votre père, que vous le vouliez ou non,
je vous prends tout de gob pour époux…
Je fus si heureux de l’advenue du marquis de Siorac qu’au
rebours de mon us, je faillis à m’ensommeiller après les tumultes dont les
courtines de Madame de Brézolles étaient les nocturnes témoins. L’œil grand
ouvert dans le clair-obscur rose du baldaquin, éclairé à travers le tissu des
rideaux par les bougies parfumées que l’on laissait brûler jusqu’à consomption,
je tombai dans un long pensement de la grande amour que mon père nourrissait
pour moi (et moi pour lui) et je lui sus un gré infini de s’être mis, à son
âge, à toutes les incommodités de ce long voyage pour me venir aider et
conseiller, comme il l’avait fait si heureusement déjà, lors de l’embûche
déjouée de Fleury en Bière.
Il m’avait été alors d’un très grand secours et soutien, et
l’idée me vint tout soudain qu’il pourrait l’être derechef en mon présent
prédicament, du fait qu’il connaissait mieux que moi deux des trois
protagonistes de cette grande zizanie : le duc d’Angoulême, pour l’avoir
protégé et consolé lors de l’assassinat d’Henri III ; et
Bassompierre, qu’il tenait pour un de ses plus intimes amis, encore que depuis
son mariage avec ma demi-sœur, et sachant ce qu’il savait, il ne laissât pas de
le voir moins souvent.
CHAPITRE III
Le lendemain de l’advenue de mon père, nous déjeunâmes tous
quatre à potron-minet, mais hélas ! sans Madame de Brézolles qui nous fit
dire, par Monsieur de Vignevieille, qu’elle était encore « trop dolente
d’une nuit désommeillée pour se joindre à nous », la vérité étant sans
doute qu’elle ne voulait paraître devant quatre gentilshommes que dans tous ses
joyaux et affiquets, la face pimplochée à ravir, et le cheveu testonné et
perlé.
Cependant, la nuit « désommeillée » ne fut pas
perdue pour tout le monde. Mon père me jeta un œil vif, ouvrit la bouche et la
cousut aussitôt, tandis que l’ombre d’un souris se dessinait à la commissure
des lèvres de Miroul [16] , mais
n’alla pas plus loin, un regard de mon père l’ayant arrêté.
Quant à Nicolas, il se tint comme toujours clos et coi,
l’image même de la sainte ignorance. J’observai avec contentement que mon père,
malgré le long voyage de Paris à La Rochelle, paraissait vif et dispos et
mangeait à dents aiguës les tranches de pain que Margot, assise à son côté sur
une escabelle, lui tartinait tendrement de beurre frais. J’observais aussi que les
années s’étaient effeuillées sur Margot sans la toucher le moindre. Son frais
minois était toujours aussi beau que ce jour d’hiver où, dans son dénuement,
elle avait tâché de nous rober une bûche, larcin béni des dieux, puisque ses
cheveux d’or demeurèrent dans notre maison pour illuminer la vie de mon père.
Par ce même temps pluvieux et tracasseux que la veille, nous
trottâmes de concert dans la boue jusqu’au bourg d’Aytré pour présenter mon
père au roi, lequel l’accueillit fort bien ainsi que La Surie.
Cependant, Sa Majesté fut brève, étant assaillie par les
officiers du camp. Fogacer se trouvait au-delà des balustres et dès que nous
eûmes tiré quelques pas en arrière pour les franchir, mon père et lui
s’embrassèrent à l’étouffade, ayant étudié de concert, en leurs vertes années,
à l’École de médecine de Montpellier.
Notre chanoine sachant tout, il nous apprit que Toiras était
toujours maître de camp de Bassompierre mais, depuis la veille, à Chef de Baie
et non plus à Coureille où, d’ores en avant, commandaient le duc d’Angoulême et
Schomberg.
Il nous fallut donc, après avoir quis du tonitruant Du
Hallier des laissez-passer pour mon
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