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La Gloire Et Les Périls

La Gloire Et Les Périls

Titel: La Gloire Et Les Périls Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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qu’il avait ouïe et qui lui
paraissait plus correcte était celle-ci : « Vous verrez que nous
serons assez fous pour prendre La Rochelle. »
    — Je ne sais pas, dis-je à mon tour, si « Nous
serons assez fous pour prendre La Rochelle » est plus correct que
« Nous serons si fous que de prendre La Rochelle » mais, de toute
manière, Bassompierre est lorrain par son père, n’est advenu en France qu’à
l’âge de vingt ans et, si grand lettré qu’il soit, il a parfois son langage à
lui. Par exemple, il disait, du temps d’Henri IV, vous vous en
souvenez : « Je suis le paroissier de qui est le curé » au lieu
de dire « Je suis le paroissien de qui est le curé. » Mais, de toute
façon, il importe peu, d’une façon ou d’autre, la phrase dit bien ce qu’elle
dit.
    Il y eut alors, parmi nous, une mésaise et un silence que
rompit à la parfin mon père.
    — Vous avez raison, dit-il, il n’importe pas. Et si la
phrase s’entend aisément dans son sens littéral, elle comporte un sous-entendu
qui est loin, bien loin d’être clair.
    — Bah ! C’est une gausserie ! dit La Surie.
    À cela Nicolas ouvrit la bouche, puis la clouit, une rougeur
juvénile couvrant sa belle face.
    — Nicolas, dis-je, tu n’es point céans pour jouer les
muets du sérail. Si tu as une opinion, donne-la sans t’émouvoir.
    — Monsieur le Comte, dit Nicolas, je n’étais point
présent à cet entretien, je gardais les chevaux. Mais si Monsieur de
Bassompierre a prononcé la phrase que vous dites, je n’y vois pas une gausserie,
mais une méchantise.
    C’était naïvement dit, et je ne l’aurais pas exprimé ainsi,
mais je sentis que le béjaune avait senti d’instinct l’essentiel. Et La Surie
dut avoir le même sentiment car, sans se piquer le moindre d’être contredit, il
demanda :
    — Une méchantise à l’égard de qui ?
    — Mais, dit Nicolas, à l’égard du roi qui a entrepris à
grand-peine, labour et dépense le siège de La Rochelle.
    — En effet, dis-je, qui peut ignorer que Sa Majesté et
le cardinal attachent la plus grande importance à se saisir de La Rochelle qui
a été, depuis Charles IX, la citadelle inexpugnable des huguenots ?
S’ils l’ont fait, c’est pour mettre une fois pour toutes un terme aux
continuelles rébellions dont les huguenots se sont rendus coupables après la
mort d’Henri IV.
    — Bassompierre, dit La Surie en se tournant vers mon
père, aurait-il des sympathies secrètes pour la religion réformée ?
    — Nenni ! nenni ! pas le moindre ! dit
mon père, Bassompierre est un catholique à gros grain, et rien que pour cette
raison il devrait souhaiter la prise de La Rochelle, au lieu de dire que nous
serions fous de la prendre.
    — Mais ce « nous », dit La Surie, qui
sont-ils ? Les soldats ? Les lieutenants ? Les capitaines ?
Ceux qui les commandent ?
    — Ce « nous », dis-je, c’est Bassompierre et
Bassompierre seul. S’il pense que c’est folie de prendre La Rochelle, on entend
mieux pourquoi il envisage de nous quitter pour s’en retourner en Paris
« y faire le bourgeois ». Paris où il retrouvera, hélas, la princesse
de Conti et la duchesse de Chevreuse, ces ennemies encharnées du roi et du
cardinal…
    — On peut aussi se demander, dit mon père, si les
conditions que pose Bassompierre pour rester à Chef de Baie, à savoir une armée
quasi indépendante, ses finances propres, etc., ne sont si exorbitantes que pour
amener le roi à les rejeter. Ce qui lui rendrait plus facile alors de quérir à
Sa Majesté son congé et de s’en retourner à Paris…
    Là-dessus, on toqua à l’huis, je donnai l’entrant, Luc
apparut, et après avoir fait un grand salut à la ronde, il dit d’une voix
étouffée :
    — Monsieur le Comte, Monsieur de Vignevieille vous prie
de lui faire la grâce de descendre avec ces Messieurs. Madame de Brézolles vous
attend pour le souper.
    Je me levai. Mes hôtes prirent congé de moi, mais au moment
où ils départaient, je retins mon père sur le seuil.
    — Monsieur mon Père, de grâce, un mot encore !
    — Je vous ois, dit-il en refermant l’huis sur nous.
    — Monsieur mon Père, dois-je répéter au roi les propos
fâcheux de Bassompierre ?
    — Pensez-vous que vous ne le devez pas ?
    — C’est la question que je me pose. Quand le roi juge
que son autorité est atteinte, son ire va jusqu’à la fureur, et dans le chaud
du moment, il peut punir trop vite

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