La Gloire Et Les Périls
mousquetaires du
roi étaient venus s’ajouter à la garde cardinalice et on aurait dit, à leur air
méfiant et vigilant, qu’ils s’attendaient à ce qu’on leur tombât sus d’une
minute à l’autre. Ils nous demandèrent pas moins de trois fois nos
laissez-passer avant de nous permettre de franchir les barrières successives
qu’ils avaient dressées autour de la demeure de Richelieu. Et Nicolas m’apprit,
sur le chemin du retour, que lorsqu’on l’amena à l’écurie, les gardes le
fouillèrent de haut en bas, sans même exclure de leur examen les arçons de nos
montures.
— Voilà bien les soldats ! dit Nicolas. Ou bien
ils n’en font pas assez, ou bien ils en font trop.
— Nicolas, dis-je avec une feinte sévérité, sois bien
assuré que je ne laisserai pas de répéter à un certain capitaine des
mousquetaires ton damnable propos.
— Mais, dit Nicolas en souriant d’un seul côté de la
bouche, c’est de lui que je le tiens.
À quoi je ris et il rit aussi et nous fûmes de concert
heureux de notre bonne entente. La seule chose qui me déquiétait, c’était que
Nicolas aurait un jour, et un jour proche, à me quitter pour rejoindre les
mousquetaires du roi où, sous l’égide de son frère, il ne faillirait pas de
faire la belle carrière que méritaient ses vertus. Mais quels seraient alors
mes regrets et comment retrouverai-je jamais un autre Nicolas !
Je sus plus tard la raison de cette surveillance
sourcilleuse autour de la demeure de Richelieu. Le cardinal entretenait des mouches,
qu’on appelait céans des rediseurs, pour espionner les Rochelais. Et
d’aucunes avaient été assez fines pour faire croire aux Rochelais qu’elles
espionnaient à leur profit. C’est ainsi qu’ayant gagné leur confiance, elles
apprirent que trois cents ou quatre cents soldats anglais, montés sur des
galiotes ou des pinasses – petits navires légers et rapides naviguant
aussi bien à l’aviron qu’à la voile –, projetaient de débarquer à la
nuitée sur la côte la plus proche de Pont de Pierre et d’enlever le cardinal
après avoir submergé sa garde sous le nombre.
En attendant que Richelieu me donnât l’entrant, j’eus un
petit bec à bec avec Charpentier, lequel, depuis l’embûche déjouée de Fleury en
Bière, j’aimais et j’estimais fort.
— Ma fé ! Monsieur le Comte ! dit
Charpentier, comme je lui demandai des nouvelles du cardinal, il va aussi bien
que peut aller une créature de Dieu qui travaille, non pas même du matin au
soir, mais du matin au matin suivant…
— Eh quoi ! Ne dort-il jamais ?
— Trois ou quatre heures, quand et quand, robées à son
immense labeur. Savez-vous ce que Malherbe vient d’écrire sur lui ?
— Nenni.
— Un poème qui commence ainsi : « Grande
âme aux grands travaux sans relâche adonnée. »
— Malherbe serait-il céans ?
— Il est arrivé avant-hier et ne plaint pas à se donner
peine. Il a déjà écrit – lui qui écrit si lentement – deux poèmes,
l’un adressé au roi, l’autre au cardinal.
— Et que dit-il au roi ?
— « Prends ta foudre, Louis, et va comme un
lion donner le dernier coup à la dernière tête de la rébellion. » Pardonnez-moi, Monsieur le Comte, je n’en sais pas plus.
— Eh bien ! dis-je, ce sont là des vers bien
frappés. Et comment va notre poète dans sa corporelle enveloppe ?
— Hélas ! Plus mal que le docteur Héroard, qui
lui-même ne va pas bien du tout. Il est vrai que le camp est un vrai marécage,
comme vous savez, et n’est pas un lieu béni pour d’aussi vieilles personnes. Si
je ne m’abuse, Malherbe a passé soixante-dix ans, et le docteur Héroard,
soixante-dix-sept. On les verrait plutôt empantouflés devant un bon feu, et
buvant des tisanes.
— Mon ami, dis-je, voudriez-vous, à votre loisir,
transcrire pour moi ces deux poèmes. Je les voudrais apprendre par cœur afin de
les réciter plus tard à mes enfants et mes petits-enfants.
J’éprouvai alors quelque mésaise d’avoir parlé de mes
enfants et petits-enfants, alors que je n’étais même pas marié. « À trente
ans ! » disait mon père, qui, courtoisement, n’en disait pas plus.
Mais ce « À trente ans » me restait sur le cœur et, pis encore, mille
fois répétée la maxime paternelle en mes enfances : « Le premier
devoir d’un gentilhomme est d’assurer sa lignée. »
Charpentier acquiesça à ma demande et reprit :
— Savez-vous,
Weitere Kostenlose Bücher