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La Gloire Et Les Périls

La Gloire Et Les Périls

Titel: La Gloire Et Les Périls Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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Monsieur le Comte, que Malherbe n’est pas
le seul grand homme que nous ayons céans…
    — Charpentier ! Fi donc de ces rébus !
Nomme-le-moi tout à trac !
    — Descartes.
    — Descartes ? Qui est Descartes ?
    — D’après ceux qui l’ont ouï parler, il est le nouvel
Aristote.
    — Et qu’a-t-il écrit pour justifier cet émerveillable
titre ?
    — Il n’a encore rien publié.
    — Voilà, m’écriai-je en riant, qui sort tout à plein de
l’ordinaire : la gloire précède l’œuvre ! Et que fait ce Descartes
céans ? Le soldat ?
    — Oui, mais un soldat sans grade, sans régiment, sans
solde et sans emploi. Il vit dans une petite masure avec un grand poêle et une
petite servante pour le réchauffer plus outre.
    — À la bonne heure ! Voilà un philosophe qui a
reçu en partage une bonne dose de bon sens ! Et à part le poêle et la
petite servante, que fait-il ?
    — Il réfléchit. Il se trantole par le camp. Il
considère longuement les tranchées, les forts et les redoutes, il s’intéresse
au projet de digue qu’on veut établir entre Coureille et Chef de Baie pour
barrer la baie et empêcher les Anglais d’envitailler La Rochelle par mer.
    — Votre Descartes serait donc une sorte
d’ingénieur ?
    — Point du tout, bien qu’il soit très savant en la
mathématique. Il dit qu’il cherche des règles pour diriger l’esprit humain.
    — Oh ! Oh ! dis-je, voilà une ambition qui
sent le diable !
    — Le diable, Monsieur le Comte ?
    — Passe encore que la mathématique ait des règles à
elle ! Mais pour toutes les autres sciences terrestres, notre Sainte
Église tient que c’est elle qui y pourvoit. Je le répète, votre Descartes sent
le soufre.
    — Nenni, Nenni, Monsieur le Comte. On dit même que par
la seule force de sa raison il a trouvé une nouvelle preuve de l’existence de
Dieu.
    — De mal en pis ! Nos dévots, qui sont gens
redoutables, vont crier que l’existence de Dieu est prouvée par la révélation
et que c’est bien de l’arrogance que d’y vouloir mêler notre pauvre raison
humaine.
    Mais à cela Charpentier ne put répondre mot ni miette, car à
ce même instant entra dans l’antichambre Monsieur de Lamont, lequel me vint
dire que Son Éminence m’attendait dans le petit cabinet bleu où nous avions eu
notre premier bec à bec.
    Le cardinal était assis sur une chaire à bras, la tête
appuyée contre un coussin, et à la façon dont, en entrant, il déclouit les yeux
en battant les paupières, je ne laissai pas d’apercevoir qu’il venait de
s’accorder quelques minutes de sommeil. Il n’était pas seul. Son chat dormait
sur ses genoux.
    Ce chat, ou plutôt cette chatte, vêtue d’un manteau blanc,
comme celui des carmélites, paraissait, comme elles, vouée à un silence
rigoureux, car elle ne laissait jamais échapper miaulerie ni ronronnement. Elle
avait reçu, on ne savait quand, ni comment, la permission tacite de sauter sur
les genoux de Richelieu dans ses moments de repos, et de s’y allonger de tout
son long, la tête tournée vers son maître, attentive et coite.
    De son côté, le cardinal, comme étonné d’avoir, dans un
moment de faiblesse, autorisé ce contact charnel, se gardait comme du diable
d’aller plus loin et ne la caressait jamais, ses longues mains blanches
reposant, sans les toucher, le long des flancs soyeux de l’animal. Cependant,
quand Richelieu ouvrait l’œil à demi, la chatte, par une sorte d’infaillible
instinct, ouvrait aussitôt le sien, pour jeter à l’unique objet de son
attention un de ces regards énigmatiques dont son espèce a le secret.
    Cependant, dès que Richelieu, à mon entrant, commença à
parler, la chatte reclouit ses yeux voluptueusement, trouvant, j’en suis bien
assuré, autant de plaisir à ouïr la voix de son maître, qu’elle en avait eu
l’instant d’avant à écouter le souffle régulier et rassurant de son sommeil.
    Au premier abord, je trouvai le cardinal maigri, les traits
tirés, mais dès qu’il ouvrit les yeux et carra son dos contre le dossier de la
chaire à bras, je sentis revenir dans ses yeux, sa voix et dans son torse
redressé des réserves de force.
    — Comte, dit-il, foin des bonnetades et des
génuflexions ! Venons au fait.
    Je poursuivis néanmoins mes salutations, sachant bien que si
je les omettais, fut-ce sur son ordre, le cardinal en serait piqué, aimant à ce
qu’on le traitât avec la considération due à ce qu’il

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