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La Gloire Et Les Périls

La Gloire Et Les Périls

Titel: La Gloire Et Les Périls Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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lançaient des éclairs, son visage se crispait, et sa
voix devenait rauque.
    À le voir, il paraissait en bonne santé et il l’était en
effet, par moments, chassant alors, le cul sur selle, du matin au soir,
insensible au vent, au froid, à la pluie, buvant à lut [30] et mangeant prou. Il souffrait
pourtant d’une intempérie des entrailles qui le mettait quand et quand aux
portes de la mort. Le bon docteur Héroard, qui l’adorait, le soignait, et,
selon mon père, le soignait mal, lui donnait des purgatifs quand il avait la diarrhée
et le saignait au moindre catarrhe [31] . Louis
pâtissait aussi, par moments, d’une mélancolie profonde qui lui venait sans
doute d’avoir perdu à neuf ans le père qu’il adorait et d’avoir ensuite été
élevé par une mère dure et désaimante qui le rabaissait, le déprisait, le
voulant tenir en lisière jusqu’à la fin des temps pour conserver, seule, ce
pouvoir qu’elle aimait tant et qu’elle exerçait si mal.
    Son aparté terminé, Louis se tourna vers moi, me sourit avec
beaucoup de bonne grâce et dit :
    — Eh bien, d’Orbieu, parlez-nous de ce superbe
Bassompierre ! Que dit-il ? Que veut-il ? Jusqu’où poussera-t-il
l’audace ?
    Voilà qui me prenait sans vert, mon intention, comme j’ai
dit déjà, avait été de conter de prime au cardinal la phrase fort déplaisante
de Bassompierre afin de le laisser juge de la répéter ou non au roi. Mais dès
lors que Sa Majesté m’interrogeait le premier, je ne pouvais que la lui dire
moi-même au terme de mon récit, sous peine de lui faire une cachotte, ce qui
lui eût donné à mon égard des ombrages et des soupçons, s’il avait appris d’un
tiers ce qu’il en était.
    Je fis donc au roi et à son ministre le récit complet de mon
bec à bec avec Bassompierre, non sans être interrompu par Louis, lequel si
prudent, méfiant et taciturne qu’il fût en public, ne laissait pas, seul avec
ses fidèles serviteurs, d’exprimer, souvent en termes véhéments, ses sentiments
les plus vifs. Ainsi quand j’évoquai le désir de Bassompierre d’avoir une armée
indépendante avec ses vivres, son artillerie, et ses finances propres, Louis
laissa éclater son indignation.
    — Et pensez-vous, d’Orbieu, que dans cette hypothèse
Monsieur de Bassompierre consentirait encore à obéir aux ordres du roi ?
    — Sire, il s’y est engagé.
    — Quelle noble bénévolence ! Qu’elle est
belle ! Et combien elle me touche ! Ma fé ! Je n’ai jamais rien
ouï de plus extravagant ! Une armée indépendante ! Et que veut-il
d’autre ? La connétablie ? Ou encore la régence de Paris, tandis que
je serai occupé à guerroyer céans ? Mon cousin, poursuivit-il, en se
tournant vers Richelieu, que pensez-vous de ce fol ?
    — Qu’il est fol en effet, dit Richelieu, mais d’un air
plus amusé qu’indigné, que son mariage lui a dérangé les mérangeoises, et qu’il
a eu bien tort de marier la princesse de Conti, laquelle pense qu’il n’y a rien
de plus haut qu’elle dans le royaume. Cette intempérie l’a gagné : dans
ses rêves, notre homme se voudrait déjà vice-roi.
    — Eh bien, mon cousin, dit Louis après un moment de
silence, qu’allons-nous faire ?
    — Sire, ce que vous aurez décidé, dit Richelieu, en
s’inclinant.
    — Monsieur le Cardinal, dit Louis d’un air impatient,
répondez, je vous prie. Je vous ai demandé votre avis.
    — Et je m’empresse, Sire, de vous satisfaire, dit
Richelieu en croisant les mains sur sa poitrine et en s’inclinant avec une
parfaite humilité.
    Mais cela dit, le cardinal ne se pressa en aucune façon, et
demeura un petit moment clos et coi, les yeux baissés. J’entendis bien alors
que nous allions ouïr un petit discours fort bien articulé qui allait plaider
le pour et le contre, les justifiant l’un et l’autre par de fines et
minutieuses raisons, sans rien omettre des circonstances ni des conséquences,
et pour finir, laissant le roi libre de choisir celle des deux solutions qui
lui agréerait le mieux – et qui serait celle aussi qui, sans qu’il le
montrât en aucune façon, avait la préférence de son ministre.
    — Sire, dit Richelieu, supposons primo que vous
acceptiez la demande exorbitante de Bassompierre, et secundo , supposons que
vous la refusiez. Quels seraient, dans chacun des deux cas, les avantages et
les inconvénients ?
    — Poursuivez, mon cousin, dit Louis, en se carrant,
l’air fort attentif, dans sa

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