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La Gloire Et Les Périls

La Gloire Et Les Périls

Titel: La Gloire Et Les Périls Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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désobligeant, je ne pouvais entendre la raison de cette
cachotterie.
    Plus tard, bien plus tard, quand enfin je connus cette clause
et d’autres choses aussi de plus grande conséquence, que Madame de Brézolles
m’avait tues à son département, j’entendis combien elle avait été habile et
prudente en restant close et coite, car j’aurais alors si mal entendu sa
conduite que j’eusse pu désirer, dans le chaud du moment, la chasser de mon
cœur.
    Comme à tout homme, on m’a appris, en mes maillots et
enfances, qu’il était messéant à mon sexe de pleurer, et cette interdiction
s’est ancrée si profond en ma cervelle que je voudrais meshui verser des larmes
que je ne le pourrais pas. Elles n’en disparaissent pas moins pour autant et
elles restent jusqu’au plus profond de ma gorge sans remonter jusqu’à mes yeux.
Toutefois, dans ladite gorge, elles ne me sont pas à moins de peine et tourment
que si elles coulaient le long de mes joues. Tant est que dans cette ultime
nuit passée auprès de Madame de Brézolles je les sentis plus d’une fois me
serrer le gargamel dans un douloureux étau.
    Cela paraît étrange qu’on puisse coqueliquer tristement et
pourtant c’est ce que nous fîmes, tant il est vrai que la tête a une logique et
le corps en a une autre. Non que les délices fussent moindres sur le moment,
mais quand survenait la bonace entre deux tempêtes, nous redevenions l’un et
l’autre des êtres pensants et la pensée que nous allions perdre notre petit
paradis pour un temps assurément longuissime nous laissait sans voix, Madame de
Brézolles versant sans bruit des pleurs et moi les essuyant, la gorge
affreusement serrée.
    Nous aimions ce lit dont les courtines roses, soie d’un
côté, taffetas de l’autre, laissaient passer la lumière vacillante des bougies,
assez en tous les cas pour que je puisse voir le beau visage de Madame de
Brézolles et ce corps féminin qui «  tant est tendre, suave, poli et
caressant », comme l’a si bien dit le poète [32] .
    Comme nous aimions nous le dire, quand les soupirs
laissaient place à la parole, le baldaquin nous donnait à l’ordinaire, et nous
donna plus encore ce soir-là, le sentiment qu’il nous protégeait d’un monde de
ténèbres, et nous le vîmes – à peu même que nous ne le sentîmes –
voguer sur une mer frappée par les orages, comme une sorte d’arche de Noé dont
nous étions le seul couple, ayant reçu mission du Tout-Puissant de repeupler le
monde, quand les eaux du déluge se seraient retirées des terres.
    Le lendemain, dans ma chambre, tandis que je m’habillais,
aidé de Luc, on toqua à l’huis, et sachant bien qu’à cette heure nul ne me
pouvait visiter hors mon père, je donnai l’entrant.
    — Mon fils, dit-il, peux-je vous dire quelques mots
avant mon département ?
    — Avec joie, Monsieur mon père, dis-je avec un salut.
    Je fis signe à Luc de se retirer.
    — Mon fils, reprit le marquis de Siorac, peux-je vous
poser une question qui touche à votre particulier ?
    — Posez, mon père, dis-je, articulant ces mots avec
toute la bonne grâce qu’il était possible d’y mettre.
    — C’est, reprit-il, que je ne voudrais pas vous
offenser par des questions dont les réponses ne relèvent que de votre libre
choix.
    — Posez, de grâce, mon père, dis-je en souriant.
    — Mon fils, reprit-il après un petit silence, avez-vous
un sentiment pour Madame de Brézolles ?
    — Il me semble, dis-je, souriant toujours, que cela se
pourrait, en effet, exprimer ainsi.
    — En ce cas, c’est bien réciproque : la dame est
de vous raffolée.
    — Mon père, dis-je, à quoi avez-vous vu cela ?
Elle est si prudente en ses conduites.
    — À ce qu’à table – dîner ou souper – elle ne
jette jamais l’œil sur vous.
    — Et cela, c’est une preuve ?
    — Tout autant que si elle ne vous quittait pas des
yeux : sa crainte de se trahir l’a trahie.
    — Mon père, ce giòco di parole est excellent. Il
faudra le répéter à Miroul.
    À quoi nous rimes, ce qui eut pour effet de détendre ce
qu’il y avait d’un peu tendu dans ce dialogue.
    — Je ne vous cèlerai pas, reprit mon père, que j’ai la
meilleure opinion de Madame de Brézolles.
    — Mais moi aussi.
    — Savez-vous pourquoi elle se rend à Nantes ?
    — Défendre l’héritage de son défunt mari contre sa
belle-famille, laquelle tente de le lui rober.
    — Et elle le défendra très bien, dit mon père,

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