La Gloire Et Les Périls
et cette blessure-là fut la plus cruelle
qu’il subît jamais.
— Sioac, dit-il, tu es pardonné pour l’amour de
ton père. Et que le ciel te fasse la grâce de le garder longtemps encore sain
et gaillard, comme je l’ai vu céans.
— Que le ciel vous entende, Sire ! dis-je non sans
émeuvement.
— Sioac, poursuivit le roi, je n’ai pu hier et
ne pourrai demain visiter la digue et je voudrais que tu te rendes à Chef de
Baie pour voir ce qu’il en est de l’avancement des travaux, et me dire aussi ce
que tu es apensé de la digue elle-même sur laquelle j’ai des doutes.
— Peux-je quérir de vous, Sire, si vos doutes portent
sur l’avancement des travaux ou sur la digue elle-même ?
— Sur la digue elle-même. L’idée d’une digue me semble
bonne en soi, dit Louis, mais je crains que la première tempête un peu forte
réduise à néant les peines et les pécunes que nous y aurons prodiguées.
— Sire, je suis à vos ordres tout dévoué. Toutefois, je
ne suis ni marin, ni ingénieur, ni maçon.
— Mais tu as du nez, Sioac, et je me suis
toujours bien trouvé de tes avis. Pars pour Chef de Baie sans tant languir.
Schomberg te montrera les travaux.
Là-dessus, il me donna mon congé et bien que ce fut fort
flatteur d’ouïr de la bouche d’un si grand chasseur qu’il me trouvait « du
nez », la mission, outre qu’elle passait ma suffisance, me parut fort
délicate. Nul n’ignorait, en effet, qu’au camp le cardinal, bien plus que le
roi, faisait fond sur la digue, estimant, quant à lui, que toute entreprise, si
escalabreuse qu’elle parût de prime, ne pouvait que succéder, pour peu qu’on
s’y engageât avec foi, labeur et constance. Ainsi, quoi que conclût « mon
nez » sur la durabilité de la digue, j’étais certain de plaire à l’un et
de déplaire à l’autre.
À Chef de Baie, le géantin Schomberg m’accueillit à bras
ouverts, lesquels, à mon grand dol, il renferma sur moi, me baillant une
étouffante brassée avec claques dans le dos dont même un ours eût pâti.
Là-dessus, ayant fait subir le même sort à Nicolas qui eut peine à ne pas
tordre le bec à ces effusions, Schomberg nous invita incontinent à partager son
rôt : un gigot d’agneau fumant et odorant, lequel, se mettant aussitôt
ventre à table, Schomberg entreprit lui-même de découper.
À ce moment, l’exempt introduisit l’aîné de Nicolas, le
capitaine de Clérac, qui venait d’arriver, porteur d’un ordre du roi. Il
échappa seul aux embrassements du maréchal qui, trop occupé à son découpage,
lui donna l’ordre de s’asseoir sans tant languir avec nous. Après quoi, ayant
fini sa tâche, Schomberg nous commanda de lui tendre nos écuelles, chacun son
tour et selon l’ordre hiérarchique, moi-même de prime, le capitaine de Clérac
ensuite et, enfin, l’écuyer Nicolas, lequel, toutefois, ne fut pas le moins
bien servi.
Les premières bouchées et les premières lampées de vin de
Loire furent glouties en silence tant il nous parut de la plus grande
conséquence de nourrir de prime la pauvre bête, mais la première faim
apazimée – et ce n’est pas à dire que nous allions négliger la
seconde – nous revînmes au langage articulé qui est le propre de l’homme.
— Çà, Clérac ! dit Schomberg, que vous amène
céans ?
— Monsieur le Maréchal, dit Clérac, j’apporte deux
messages de Sa Majesté. L’un qui est écrit et qui vous est destiné et le
second, qui est oral, pour Monsieur le comte d’Orbieu.
— Avec votre permission, Comte, dit Schomberg, voyons
de prime la lettre du roi.
Bien que Clérac, qui était à la gauche du maréchal, n’eût
qu’à avancer la main pour lui bailler la lettre, il se leva, se mit au
garde-à-vous et, au bout de son bras raidi, tendit le pli royal à Schomberg en
le saluant de la tête. Après quoi, il demeura debout, attendant ses ordres.
— Que diantre ! Asseyez-vous, Clérac ! dit
Schomberg qui, toutefois, eût trouvé mauvais que le capitaine ne se levât pas
pour rendre cet hommage à la fois au roi et à lui-même.
Clérac se déraidit aussitôt et se rassit, mais sans toucher
à ses viandes, l’œil fixé avec déférence sur Schomberg qui rompait le cachet
royal d’un air à la fois important et soucieux, car ce n’était jamais sans
appréhension qu’on ouvrait une lettre de Louis, lequel blâmait plus souvent
qu’il ne louait.
Toutefois, dès que Schomberg eut parcouru le
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