La Gloire Et Les Périls
vous puissiez croire que je fais ici le chattemite et me
paonne de mérites que je ne possède pas. Car pour vous parler à la franche
marguerite, je n’aimerais pas vous donner à penser que ce fut par vertu que je
renvoyai, insatisfait, Perrette insatisfaite. Ce fut la prudence, et la
prudence seule, qui me dicta le triste courage d’agir ainsi en ce prédicament,
car la garcelette, outre qu’elle babillait sans doute à l’infini, était fort
glorieuse, et je craignis que, passant outre à mes défenses, elle ne fît par le
menu le conte de nos amours à tout le domestique : conte qui ne pouvait faillir
d’atteindre les oreilles de Madame de Bazimont, et par voie de conséquence
celles de Madame de Brézolles, laquelle me voudrait mal de mort de cette
trahison.
Ne voulant pas souffrir deux fois les affres de la
tentation, je me résolus de prier Madame de Bazimont de préposer, en attendant
le rebiscoulement de Luc, un autre valet, sans faire de reste aucune plainte
sur Perrette que je couvris, bien au rebours, d’éloges, mais arguant toutefois
qu’il me paraissait à l’épreuve quelque peu messéant de me faire déshabiller
par une garcelette. Madame de Bazimont loua fort ce scrupule, en conçut de moi
une opinion que je ne méritais pas et me donna les services de François, gros
garçon du plat pays qui, de ses gros doigts, faisait si mal pour me déboutonner
ce que Perrette faisait si bien et qu’elle aurait encore mieux fait, si j’avais
consenti à me laisser prendre à ses enchériments. Ayant été si vertueux une
fois, je décidai de ne pas l’être deux fois quoique dans un tout autre sens. Je
résolus donc de ne pas écrire le rapport au roi sur la digue, puisqu’aussi bien
il ne l’avait pas demandé et, pour tout dire, craignant aussi que le cardinal
ne vît d’un mauvais œil que je l’imitasse. Je me contentai de repasser en mes
mérangeoises, en tâchant d’y mettre de l’ordre, tout ce que j’avais appris et
tout ce que j’avais pensé sur cette entreprise.
Cela fait, je m’appliquai à m’ensommeiller et j’y réussis
assez mal, ma bonne action me pesant sur le cœur, tout à plein persuadé que
j’étais que dans les années à venir, dès que le nom où le frais visage de
Perrette apparaîtraient dans ma remembrance, il serait accompagné de l’amer
regret que vous laisse, votre vie durant, une occasion perdue.
*
* *
Dès que j’apparus le lendemain, au lever du roi, à Aytré, Sa
Majesté dépêcha un chevaucheur à Pont de Pierre pour prier le cardinal de le
venir rejoindre et, en attendant, il se mit à son déjeuner, lequel était fait
d’un grand bol de lait et d’une douzaine, je dis bien une douzaine, de grandes
tartines de beurre frais. Le docteur Héroard, qui me parut si faible et si mal
allant qu’il avait peine à se tenir debout, regardait Louis engloutir cette
gargantueuse repue sans mot piper. Au rebours de ce qu’eût fait mon père qui,
s’il avait été dans son emploi, eût tâché de modérer la goinfrerie royale, pour
la raison que notre pauvre Louis pâtissait fort et pâtissait souvent d’un
dérèglement douloureux des boyaux. En fait, toutes les intempéries dont il
avait souffert en sa vie venaient de cette faiblesse de ventre, et un régime
plus modéré eût pu, selon mon père, améliorer son état et, peut-être, prolonger
sa vie.
Dès que le cardinal fut là, le roi coupa court, avec quelque
rudesse, à ses révérences et salutations, et s’enferma, avec Richelieu et
moi-même, dans un petit cabinet attenant, lequel comportait une cheminée où
flambait un grand feu. Il fut le très bienvenu, car le temps, en cette
mi-janvier, était plus froidureux que jamais, non qu’il neigeât, mais le vent
était violent et glacé, et la pluie quasi perpétuelle, tant est que le camp, comme
j’ai dit déjà, n’était que morne marécage sous un ciel uniformément noir où
presque jamais n’apparaissait une faible faille par où le soleil eût pu arriver
jusqu’à nous pour nous réchauffer le cœur, sinon le corps, ses rayons étant si
faibles quand, par aventure, ils parvenaient à percer.
J’eusse cru que le roi m’allait bailler incontinent la
parole, puisqu’il avait fait venir le cardinal tout exprès pour m’ouïr. Il n’en
fut rien. Les yeux fichés à terre, il paraissait malengroin et mélancolique.
Ce n’était un secret pour personne : il n’aimait ni
Aytré, ni l’Aunis, ni la côte. Il disait que
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